Futu.Re, de Dmitry Glukhovsky

La dystopie est un genre sur-exploité en ce moment. Souvent synonyme de young-adult, avec la même recette (à peu de choses près), j’ai le sentiment que l’essoufflement pointe (niveau créativité en tout cas). Et puis Dmitry Glukhovsky arrive. Lui n’est pas du genre à faire du young-adult gentillet avec des héros adolescents bien propres sur eux. Voyons ce qu’il est capable de faire lorsqu’il décide de faire dans la noirceur…

 

Quatrième de couverture :

Dans un avenir pas si lointain… l’humanité a su manipuler son génome pour stopper le processus de vieillissement et jouir ainsi d’une forme d’immortalité.

L’Europe, devenue une gigapole hérissée de gratte-ciel où s’entasse l’ensemble de la population, fait figure d’utopie car la vie y est sacrée et la politique de contrôle démographique raisonnée.

La loi du Choix prône que tout couple qui souhaite avoir un enfant doit déclarer la grossesse à l’État et désigner le parent qui devra accepter l’injection d’un accélérateur métabolique qui provoquera son décès à plus ou moins brève échéance.

Une mort pour une vie, c’est le prix de l’État providence européen.

Matricule 717 est un membre de la Phalange qui débusque les contrevenants. Il vit dans un cube miteux de deux mètres d’arête et se contente du boulot de bras droit d’un commandant de groupe d’intervention. Un jour, pourtant, le destin semble lui sourire quand un sénateur lui propose un travail en sous-main : éliminer un activiste du parti de la Vie, farouche opposant à la loi du Choix et au parti de l’Immortalité, qui menace de briser un statu quo séculaire.

 

La dark dystopie, vous connaissez ?

Futu.re - Glukhovsky - couvertureLa dystopie, à la base (en tout cas dès qu’on sort des gentilles dystopies young adult avec de jolis ados tout proprets et parfaits), c’est pas vraiment tout rose. Mais alors là… Comment dire, c’est super noir. Mais pas pour tout le monde bien sûr, il faut bien que quelques bienheureux en profitent à fond. Tout se passe donc sur une Terre surpeuplée (on dépasse la centaine de milliards d’habitants…). Comment en est-on arrivé là ? Tout simplement en trouvant la formule de l’immortalité. La médecine n’a cessé de s’améliorer et est maintenant capable de soigner les maladies, toutes les maladies, jusqu’à la mort qui finalement n’était jusqu’ici qu’une maladie dont personne n’avait trouvé le remède. C’est maintenant chose faite.

Mais la Terre a ses limites. Et pour contrer cette accélération démographique galopante, l’Europe a décidé que ses citoyens ne devaient plus faire d’enfants, les couples contrevenants à la Loi du Choix (et qui préfèrent cacher leur enfant aux autorités) et traqués par les autorités devant décider, quand ils sont pris, lequel des deux parents se verrait inoculer un virus provoquant la mort dans les dix ans alors que l’enfant non autorisé est envoyé dans un internat instituant le lavage de cerveau comme une règle. Un institut duquel les enfants sortent (enfin… pas tous…) pour faire appliquer cette même Loi et rechercher les enfants non autorisés et inoculer le virus aux parents contrevenants. Un joli cercle sans fin. Si les parents déclarent leur enfant, celui-ci pourra grandir normalement mais l’un des deux parents devra tout de même mourir. Une mort pour une vie, et la démographie est contrôlée. Déjà rien que ça, ça fait froid dans le dos, mais si on y ajoute la pauvreté d’une grande partie de la population exploitée, des villes qui s’étendent sur des milliers de kilomètres carré (l’Europe n’est plus qu’une vaste mégalopole d’où s’élèvent une multitude d’immenses immeubles, « Monades urbaines » style), ou bien Barcelone transformée en ghetto fortifié pour stocker les immigrés, on obtient un vrai cocktail de noirceur.

Et Dmitry Glukhovsky n’y va pas de main morte. Car d’une part il n’édulcore rien dans sa narration : c’est violent, ça cogne, ça suinte, ça saigne. Et comme en plus le personnage principal du récit (Jan, matricule 717) est un des miliciens chargés de faire respecter la Loi du Choix, une milice appelée les Immortels et qui fait ce qu’elle est chargée de faire, suprême ironie, en portant des masques d’Apollon (d’où la couverture du roman, qui en appelle une autre, dystopique elle aussi, et les liens entre ces deux œuvres ne s’arrêtent d’ailleurs pas là…), on est en plein dans l’action avec la violence parfois difficilement soutenable étalée sous nos yeux. Jan étant fanatisé et persuadé de la justesse de son action, difficile de ne pas avoir une boule à l’estomac devant certains passages assez hard…

Et puis vient Annelie, une femme qu’il est chargée d’éliminer, avec une jolie promotion à la clé (et un logement un peu plus grand que son 2 mètres carré). Et c’est l’engrenage : les choses ne sont pas si simples, et Jan va se retrouver obligé de faire des choix. Oui, c’est assez classique dans le fond, mais Jan n’a rien du méchant qui devient tout à coup gentil, tout cela n’est pas aussi aisé.

Avec une narration entrecoupée de flashbacks sur la jeunesse et l’éducation de Jan dans l’un de ces fameux internats (une manière de complexifier le personnage et de le comprendre, alors que ses actes sont parfaitement répugnants), « Futu.Re » est ce que l’on peut appeler une lecture marquante. La plume du romancier, sans être particulièrement remarquable, met le lecteur mal à l’aise de par les faits qu’elle décrit et les personnages qu’elle nous montre. Les thèmes abordés sont nombreux : les grands dirigeants du monde, la politique, le capitalisme forcené (avec les Etats-Unis qui vendent la formule de l’immortalité aux plus offrants, et accusent l’Europe d’inhumanité avec la Loi du Choix), la génétique non contrôlée, les flux migratoires, le contrôle des masses, etc… Des thèmes souvent vus ailleurs et classiques dans une dystopie, mais Glukhovsky s’en sert de façon intéressante, avec en bonus de petits « détails » qui donnent une vraie consistance à la société qu’il dépeint (le système de transport, ou bien « l’élevage » des bisons pour nourrir la planète, je vous laisse la surprise…).

Dès lors,  quel dommage de voir ce roman qui partait si bien s’étaler sur de trop grandes longueurs ! Le contraire aurait été étonnant vu que le livre tient plus du boeuf sous OGM (plus de 700 pages en grand format et je ne sais combien de kilos sur la balance) que du colibri, mais tout de même. Certes, l’auteur prend son temps pour que l’on saisisse bien les questionnements et les actes de Jan, mais à plusieurs reprises j’ai senti le roman s’essouffler et moi avec.

Ceci dit, il semblerait que tout le monde n’ait pas le même ressenti que moi sur le sujet, et j’ai tendance à penser que le roman mérite tout de même toute l’attention des lecteurs puisqu’il va au-delà de la « simple » dystopie trash. Oui j’ai souffert par moment, autant avec le fond que la forme en fait, mais avec un vrai propos et abordant de front des sujets sensibles et parfois de manière étonnamment lumineuse (la paternité, joliment évoquée) sur fond de société profondément noire, « Futu.Re » atteint pleinement son but : marquer au fer rouge.

A noter, l’existence d’un site internet permettant de lire les deux premiers chapitres et surtout de s’immerger dans l’univers du roman avec de nombreuses illustrations et un accompagnement musical distinct pour chaque chapitre.

 

Lire aussi les avis de Lune, Blackwolf, Mr K, Charmant-Petit-Monstre, Miss Léo, Fantastinet.

Critique écrite dans le cadre des challenges « SFFF et diversité » de Lhisbei (item 10 : une oeuvre de SFFF par un auteur non occidental) et « Dystopie » de Val.

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