Solaris 195
Revenons dans le monde des revues de science-fiction. Certes, en francophonie, ces revues ne sont pas légion (et encore moins depuis l’arrêt de « Fiction » et « Mythologica »), mais on peut toujours trouver de quoi se sustenter. En France, pour les plus connues on a « Bifrost » et « Galaxies-SF ». Et dans ce petit îlot de francophonie qu’est le Québec, entouré de millions de nos « amis requins », il y a la revue « Solaris », qui tient vaillamment la barre depuis maintenant plus de 40 ans.
Aux dernières Utopiales (comment ça je n’ai pas fait d’article à ce sujet ? Hein, quoi, en retard moi ?^^), les éditions québécoises Alire (qui éditent la revue) étaient présentes et souhaitaient se faire connaître un peu plus en France. A cette occasion, les blogueurs étaient conviés à un apéro (avec en introduction la présence de Michel Robitaille, délégué général du Québec à Paris et représentant personnel du premier ministre pour la francophonie, c’est dire l’importance accordée à ce rendez-vous !) lors duquel deux numéros de Solaris (entre autres) furent distribués : celui dont il est ici question et le numéro 150, spécial trentième anniversaire (j’y reviendrai dans un prochain article).
Et donc, le numéro 195 (été 2015) de Solaris. Un numéro un peu particulier puisqu’il fait suite au décès du rédacteur en chef de la revue, Joël Champetier. De nombreux collaborateurs (passés ou présents) de la revue lui rendent donc ici hommage.
Viennent ensuite les récits de fiction. Cinq nouvelles au programme pour presque 80 pages de lecture. On commence par le prix Solaris 2015 (et non pas 2014 comme indiqué sur la première page de la nouvelle…), prix qui récompense chaque année un auteur francophone canadien, « Garder un phénix en cage » de Jean-Louis Trudel. Un récit qui s’intéresse à la machination mise en place par un homme qui n’assume pas les choix qu’il a fait lors de la dernière guerre spatiale. Récit intéressant, fourmillant d’idées (suicide programmé, reprogrammation de souvenirs, conditionnement, etc…) mais à mon avis trop noyé dans une complexité narrative inutile (alternance de narrateurs sans qu’ils ne soient jamais nommés, passage de la première à la troisième personne, etc…). Une nouvelle qui demande une attention certaine.
« Testament d’une encloustrée » de Martyne Pigeon nous met dans la peau d’une femme pendue pour sorcellerie. Pendue oui, mais pas morte. Enfin si, mais disons qu’elle garde conscience d’elle-même. Un ton grinçant, ironique, et des descriptions assez… imagées d’un corps en décomposition font la matière de ce récit très réussi.
« L’héritage » de Sylvain Lamur commence bien, avec un récit dont l’ambiance mélancolique et nostalgique convient parfaitement à son personnage principal qui vient d’hériter de la maison de sa mère après son décès. Malheureusement, le point central de cette histoire de maison « hantée » (mais pas seulement la maison finalement) ne m’a pas convaincu, d’autant que je n’ai pas vraiment saisi où l’auteur voulait en venir.
« Resort » de Hugues Lictevout met en scène, dans un futur plus ou moins éloigné, un homme obligé de travailler dans des conditions déplorables dans un hôtel pour personnes très fortunées. Mais s’il démissionne, un autre prendra sa place et comment alors fera-t-il parvenir de l’argent à sa famille ? Ce qui intéressant dans ce récit, c’est l’inversion des rôles traditionnels : l’occidental est ici « le pauvre », tandis que les riches sont les Chinois, Indiens, Brésiliens, Kényans, etc… Entre esclavagisme et prostitution, le protagoniste essaie de tenir son rôle tout en gardant sa dignité, jusqu’à ce que ça dérape. Un récit bien mené, et qui sait garder son effet de surprise jusqu’au bout. Bien joué.
La dernière fiction, « L’enchanteresse portait des Lévi’s » de Geneviève Blouin, nous propulse dans une fantasy urbaine dans laquelle humains et être féeriques se côtoient, à l’insu de ces derniers. Dans un musée doté d’une exposition d’objets soit-disant magiques, un vol a été commis. Mais pas n’importe quel objet, et pas par n’importe qui. Une petite enquête de fantasy bien agréable, au ton léger, teintée de mythologie (on y parle des Moires), et qui atteint son but : faire passer un bon moment.
La revue sa conclue par une partie rédactionnelle avec critiques de romans et/ou recueils québécois puis de romans et/recueils plus internationaux (traduits en français bien sûr). D’ailleurs, les critiques n’y vont parfois pas de main morte. Il n’y a pas que Bifrost pour pointer les défauts des œuvres mises en avant !
On y trouve également un long article qui revient sur l’actualité cinématographique de science-fiction, de manière assez complète. On y trouve du super-héros (en pointant le risque d’essoufflement du genre), de la SF pure (« Interstellar », « Europa Report »…), de la dystopie (« Hunger Games », « Divergente », etc… Avec une belle dissection des mécaniques qui sous-tendent ces films : ce sont toutes les mêmes !), des films biographiques (« Imitation game », « Une merveilleuse histoire du temps », et les écarts que prennent ces films avec la réalité historique). Très intéressant à lire.
Enfin, n’oublions pas l’essai que Mario Tessier écrit sur le design en science-fiction. Documenté, référencé, revenant sur l’histoire et s’appuyant sur des œuvres emblématiques du genre SF, c’est un régal de lecture. Et qu’on ne vienne pas me dire après ça que Star Trek n’a pas eu d’influence sur la science et le design ! 😀
Pour une première approche de ce magazine, c’est donc un joli coup, avec un contenu rédactionnel agréable, et des nouvelles qui, même si elles ne sont pas toujours sans défaut, offrent de bons moments de lecture. Merci Solaris !
Critique rédigée dans le cadre des challenges « Francocou 3 » de Doris, « SFFF et diversité » (item 3 (essai/article sur la SF)) de Lhisbei et « CRAAA » de Cornwall.
Avec une couverture réalisée par le cousin du maquettiste de Bifrost. Comment ça se fait que les revues de SF aient autant de mal à trouver des maquettes originales et belles ? Trop de littéraires ?
Oui, c’est vrai, la couverture est… hum.
Par contre, tu compares avec Bifrost, mais les couvertures de Bifrost sont en général très belles. C’est la maquette intérieure qui accuse un peu son âge. Dans Solaris, c’est plus moderne, il y a même de la couleur (sur les numéros récents).
Mais qu’importe le flacon… 😉
Je suis justement en train de lire un Bifrost et le texte envahit la couv. Une marque de fabrique très agaçante.
Pour certains numéros, c’est un peu envahissant oui. Mais ça s’est calmé sur les deux derniers (King et Pelot).
Ceci dit, il ne faut pas oublier que Bifrost est une revue, pas un roman, il faut donc (au moins un peu) montrer ce qu’on va trouver à l’intérieur. Une revue quoi.
Ca a l’air pas mal comme magazine en tout cas, il faudra que je les lise !
C’est tout à fait sympathique. 🙂
Pas de nouvelles mémorables mais globalement de bons moments de lecture, j’ai bien aimé aussi cette découverte, et j’ai trouvé le cahier ciné très intéressant en plus (par contre je crois que j’ai fait l’impasse sur l’article sur le design, j’avais pas la tête à lire ça en décembre ^^).
Non rien d’inoubliable, mais j’ai passé un bon moment.
Oui l’article ciné est bien écrit, j’en lirais bien d’autres dans le même style. J’aime bien cet article global pour couvrir l’actualité sans compartimenter avec la classique « un film = une critique ». Et en plus, c’est bien argumenté.
L’article sur le design, c’est un article de fond donc forcément faut être dans le bon état d’esprit, mais là encore il y a de la matière, c’est intéressant.
Je suis justement en train de lire le numéro anniversaire des 30 ans. Il y a tout l’historique de la revue (enfin il manque tout de même les 12 dernières années) et des nouvelles. C’est intéressant. Toujours sympa de savoir ce qui se passent du côté de nos francophones d’outre-atlantique.
Oui, je l’ai lu aussi, la critique arrive. J’ai bien aimé la rétrospective, ça permet de découvrir l’histoire du genre SFFF d’une autre région du monde.
Et les nouvelles étaient sympa aussi. Sans truc inoubliable là non plus, mais d’un bon niveau.
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