Légationville, de China Miéville
Quatrième de couverture :
Par tous les moyens.
Du langage et de la perception qu’il implique
Une fois n’est pas coutume, je vais revenir un peu plus longuement que d’habitude sur les spécificités de l’univers développé dans ce roman par China Miéville. Le roman se déroule donc sur la planète Arieka, située aux confins de l’univers connu. La Légationville qui donne son nom au roman n’est en fait rien d’autre qu’un comptoir qui permet aux humains de commercer avec les autochtones. Sauf que ces autochtones sont d’un genre très particulier puisque munis de deux bouches, ils parlent avec deux voix en simultané. De plus leur langage ne se basant que sur des faits ou des choses existantes ou ayant existé, les Hôtes (tel que les humains les appellent) sont donc incapables de conceptualisation (à moins de passer par un processus étonnant de comparaison… vivante !) ou de mensonge. Pire, le langage humain ne leur est pas seulement incompréhensible, il n’existe tout simplement pas (puisque parlé avec une seule voix) ! Une caste d’humains, les Légats, a donc été créée dans le but de communiquer avec les Hôtes. Deux clones, élevés ensemble depuis leur plus jeune âge, parlant avec leur deux voix synchronisées, de manière à être compris par les habitants d’Arieka. Deux clones qui ne font donc aux yeux des Hôtes qu’une seule et même personne. L’arrivée à Légationville d’un nouveau Légat va remettre tout cela en question.
Voilà le socle de base sur lequel se base le roman. Et ce n’est qu’une partie de ce que l’auteur a à offrir tant il voit large et introduit tout un tas de concepts étonnants et de problématiques à l’avenant. Technologie vivante, néologisme nombreux (profitons-en ici pour saluer la traduction de Nathalie Mège, qui n’a pas dû être une partie de plaisir !), langage inventé, le roman a ainsi beaucoup à offrir. À tel point qu’il prend son temps pour démarrer vraiment. Beaucoup de temps. Variant sa narration entre présent et passé pour expliquer tous les tenants et aboutissants menant à l’intrigue principale, cette dernière ne décolle vraiment qu’à la moitié du roman, soit après 250 pages. Ça fait beaucoup. Mais l’aspect paradoxal de ça, c’est que c’est cette partie que j’ai préféré. Avide de découvrir ce monde étonnant, j’ai en effet trouvé cette longue introduction assez passionnante, elle qui n’hésite pas à digresser sur des aspects qui pourraient paraître anodins (le voyage dans l’espace par exemple).
Car il faut bien avouer que mon attention s’est ensuite peu à peu désagrégée. Il faut croire que je n’arrive pas à accrocher aux intrigues de China Miéville, puisque c’est un peu l’effet que j’avais ressenti pour « The city & the city ». La faute à deux choses essentiellement. La première tient à l’héroïne mise en scène par l’auteur. Avice est en effet relativement banale, ou plutôt est-ce le style utilisé par Miéville pour la faire parler qui m’est apparu banal. Pas d’accroches, pas d’empathie (et pourtant elle en traverse des drames, mais sans s’en émouvoir plus que ça…). Dans un roman écrit à la première personne, c’est évidemment un souci. Le deuxième problème, plus gênant encore selon moi, tient à ce manque quasi complet de descriptions. Miéville ne décrit rien ou presque, impossible de se représenter les Hôtes, impossible de visualiser leur habitat, leur ville, impossible de se rendre compte du décor du roman, le comble alors qu’il pèse allègrement ses 500 pages, largement de quoi correctement exposer son cadre !
Tout cela m’a beaucoup gêné et j’ai dû lutter pour arriver au bout d’un roman qui pose pourtant des problématiques intéressantes sur le langage, mais qui malgré tout ne parvient pas à garder un aspect cohérent tout du long. Ainsi, sans trop en dire, j’ai trouvé le dénouement ou en tout cas le retournement final trop facile, trop rapide, pas réaliste à mes yeux.
Il serait aisé pour moi de dire que ce roman n’est pas bon, mais je n’irai pas jusque là. Car il est pétri d’idées géniales, parce qu’il pose un contexte vraiment étonnant et qu’une telle débauche d’idées est à mettre au crédit de l’auteur. En revanche, je commence très sérieusement à me demander si China Miéville est fait pour moi… Il semblerait que ses intrigues me posent problème. Et puisque dans un roman, les idées, même géniales, ne suffisent pas…
Lire aussi les avis de Gromovar, Cédric, Zina, Kaali, Lelf.
Tu confirmes parfaitement mon envie de ne pas le lire. Je me suis fait une raison, China Miéville, ce n’est pas pour moi non plus.
Je commence à me poser des questions… J’ai quand même envie de m’intéresser à sa trilogie fantasy : Perdido Street Station, Les Scarifiés, Le Concile de Fer. Enfin, le premier déjà, le reste on verra…
Ce livre-ci est évidemment à mon programme de lecture.
Une de tes remarques retient particulièrement mon attention aujourd’hui : je suis en train de lire un roman dans lequel l’auteur a choisi de décrire en long en large et en travers ses personnages à leur première apparition. Ça en devient comique : dès qu’un nouveau se pointe, on sait qu’on va avoir un paragraphe pour nous raconter sa moustache grisonnante/ses cheveux grassouillets/ses yeux d’huitre (pas pour le même personnage, je te rassure…). Au final, ça n’est pas vraiment mieux que pas de description du tout…
Qu’est-ce que c’est exigeant un lecteur 🙂
Oui un lecteur c’est exigeant, et auteur c’est un métier. 😉
Mais tu as raison, trop de descriptions, ce n’est pas non plus la solution. Comme souvent, il faut trouver le juste milieu.
Merci pour cet avis éclairé, comme toujours.
J’ai beaucoup aimé The City & The City, sans relâchement de mon attention.
Par contre ensuite est paru Kraken, dont j’ai lu la moitié. Une moitié qui partait dans tous les sens, et j’ai fini par décrocher. China Miéville a plein, plein, PLEIN d’idées. Trop ? Mal agencées ? Je ne sais pas. J’ai beaucoup aimé sa nouvelle dans Londres, elle était super. Tout ça est très anglais, fait penser à Priest, mais c’est comme si, dernièrement, sur le format long, ça restait un « brouillon ». (Un brouillon de Miéville donc très élaboré et qui aurait reçu le Locus évidemment)
Quoiqu’il en soit, Légationville est sur ma PAL et je me ferai un devoir d’au moins le commencer, pour voir !
Tiens, c’est intéressant, je n’ai jamais lu Miéville sur le format court, mais je me demande si ce n’est pas sur ce style de texte qu’il pourrait s’exprimer le mieux… Je crois que Gromovar avait lu et apprécié un recueil de l’auteur.
A explorer.
Merci ! 😉
J’ai adoré Perdido et détesté les Scarifiés. Étrange auteur. J’ai acheté Kraken, on verra bien.
Il ne laisse pas indifférent, c’est déjà ça.
Je n’ai pas eu de très bons échos de « Kraken », je me demande ce que tu en auras pensé.
Difficile de trouver des avis sur Kraken et c’est mon second bouquin de ma BAL. On verra bien.
Je me retrouve plutôt bien dans ton avis, notamment sur cette dualité intrigue / univers qui m’avait déjà également marquée dans The city, mais j’avoue que je suis tellement soufflée par son imagination que ça me donne quand même envie de découvrir d’autres choses de lui.
Merci de m’avoir pinguée 🙂 mêmesi tu as écorchée mon nom ^^
Tout dépend où on place le curseur en fait, entre idées et intrigue.
Oups, désolé pour ton nom, je corrige… 😉
Pour le moment j’ai juste lu un roman jeunesse de lui (qui était très très bien au demeurant). Un jour je tenterai ses autres textes, mais je note d’éviter celui-là ^^.
Si ça se trouve, tu adorerais ce livre… Mais bon, je ne peux décemment pas le conseiller pour commencer. 😉
Mmh, ton avis me fait hésiter. Je ne sais pas si je vais tenter directement l’aventure. Je dois en avoir un autre de l’auteur en stock à tenter d’abord…
Comme pour Vert, peut-être qu’il te plairait…
Difficile de trancher avec Miéville, ces romans sont tellement particuliers qu’ils peuvent être assez clivants.
Adoré Perdido, déçue par Kraken (qui partait tellement bien pourtant), bien aimé Lombres.
Pour rebondir sur le commentaire de Lune : j’ai lu quelques nouvelles de lui et elles étaient très bien. Je me demande si l’auteur n’aurait pas intérêt à en écrire davantage, ça lui permettrait de sortir de sa tête son trop plein d’idées et éviter de perdre ses lecteurs dans ses romans :p
Ça c’est une bonne suggestion. Quand on a des idées plein la tête, on peut se « contenter » des nouvelles qui permettent, au contraire des romans, de surfer sur une idée sans trop se forcer à trouver une intrigue approfondie.
Peut-être le format idéal pour Miéville finalement. Dommage qu’il n’en écrive pas plus (ou qu’elles ne soient pas traduites en français)…
Les quelques bouquins que j’ai lu de lui sont globalement bien passés (même en anglais, je m’épate toujours d’ailleurs en y repensant), à voir si je craquerais ou pas, faut bien avouer qu’il a un univers des plus particuliers… ^^
En anglais, bravo, ça ne doit pas être simple vu le niveau de langues et le nombreux néologismes !
L’auteur a un univers particulier oui, et même des univers puisqu’il sait se renouveler (fantasy, fantstique, science-fiction…). Mais peut-être qu’il veut parfois trop en faire, et ça le dessert un peu, en tout cas de mon point de vue.
J’ai beaucoup aimé Légationville alors que je ne suis pas arrivé à lire les autres livres de Mieville. Aussi je ne partage pas l’opinion de Lorkan.
Il y a peu de descriptions c’est vrai, et pourtant curieusement je vois très bien les Hôtes, le décors, les différents protagoniste,mieux que quand il y a des descriptions détaillées qui me soulent et dans lesquelles je me perds. Peut-être parce que l’auteur à l’art d’exciter l’imagination de ses lecteurs.
Alice la narratrice je la trouve très attachante. Ses liens avec Scile, avec Vin (la partie sympa de CalVin), avec Danseuse Flaminga, ses souvenirs d’enfance, son comportement… c’est vraiment quelqu’un avec qui je me sens beaucoup de points communs. Les Hôtes sont des personnages complexes et qui ont des personnalités différentes, même remarque pour les Légats et pour Scile.. Je n’ai pas l’impression de supports abstraits d’idées mais au contraire d’êtres vivants.
En plus il y a une vraie réflexion: sur langage, sur les rapports entre les cultures, sur le pouvoir. Une réflexion incarnée de façon concrète dans une intrigue certes complexe mais pas tordue incroyablement logique. Fascinant.
Pour moi c’est le meilleur livre de Science Fiction que j’ai lu depuis plusieurs années. Je trouve dommage que Mieville écrive surtout de la Fantasy Urbaine.
Tant mieux si le livre vous a plu ! C’est quand même plus sympa quand un livre vous embarque dans son univers. 😉
Ça n’a malheureusement pas été mon cas, j’ai vraiment été gêné par le manque de descriptions (je ne suis pourtant pas un fan des descriptions à rallonge, mais il en faut un minimum).
Pour le reste, je ne remets pas en cause le foisonnement d’idées de China Miéville, c’est d’ailleurs sa principale caractéristique et son principal intérêt, mais il faudrait que ses intrigues soient à la hauteur, ce qui pour le moment (et pour moi) n’est pas le cas. Quand ce jour arrivera, on aura un sacré bon bouquin ! 😀
Mais l’essentiel reste que ce livre vous a plu, et j’en suis heureux pour vous. 😉
[…] Cédric, Gromovar, Lorhkan, […]
[…] Vous pouvez également consulter les chroniques du Chien Critique, des Lectures du Maki, Gromovar, Lorkhan […]