La ménagerie de papier, de Ken Liu
Quatrième de couverture :
Ken Liu est né en 1976 à Lanzhou, en Chine, avant d’émigrer aux Etats-Unis à l’âge de onze ans. Titulaire d’un doctorat en droit (université de Harvard), programmeur, traducteur du chinois, il dynamite les littératures de genre américaines, science-fiction aussi bien que fantasy, depuis une dizaine d’années, collectionnant distinctions et prix littéraires, dont le Hugo, le Nebula et le World Fantasy pour la seule « Ménagerie de papier », ce qui demeure unique à ce jour. Le présent recueil, élaboré au sein d’un corpus considérable, et sans équivalant en langue anglaise, consacre l’éclosion du plus brillant des talents, protéiforme et singulier — l’avènement d’un phénomène.
Un nouveau grand auteur débarque
Il était temps ! Les jeunes auteurs de SF mettent toujours du temps à être édités en France, la faute à un marché restreint et à des coûts de traduction difficiles à amortir avec un nom inconnu du grand public. Mais s’agissant de Ken Liu, avec la pluie de récompenses qu’il a reçu (deux prix Hugo, un prix Nebula et un World Fantasy Award, entre autres), les attentes étaient grandes. Quelques uns de ses récits étaient bien parus en France dans divers magazines (Fiction, dont le numéro 18, ou Galaxies), mais l’arrivée d’un vrai recueil signe enfin la véritable arrivée en France de l’auteur sur les étals des librairies.
Et gageons que nous n’avons là que le premier recueil d’un auteur que nous reverrons régulièrement en France (en tout cas je l’espère), tant celui-ci se révèle à la hauteur de l’attente qu’il a suscitée ! Ken Liu est régulièrement comparé à Ted Chiang (que je n’ai pas lu) ou à Greg Egan (dont j’ai lu le recueil « Axiomatique » mais jamais chroniqué), soit deux des plus grands nouvellistes actuels. Mais si Greg Egan sait manipuler des concepts fascinants pour en tirer des récits stimulants intellectuellement, son grand défaut reste ses personnages, souvent froids et désincarnés, uniquement au service du récit. Utilitaires en somme. Avec Ken Liu, pas de ça, bien au contraire puisqu’il met toujours l’humain au coeur de ses récits, avec pour résultat quelques merveilles et de nombreux excellents textes.
Ainsi, on ne peut que saluer la qualité de textes comme « Renaissance » et ses questionnements sur la mémoire, « Les algorithmes de l’amour » et cette femme qui ne fait plus la distinction entre les poupées intelligentes qu’elle crée et les enfants qu’elle n’a jamais eus, « Trajectoire » et cette immortalité souhaitée puis abandonnée. Ken Liu sait aussi faire preuve d’humour avec l’amusante « Le golem au GMS », ou bien avec cet hommage à Pratchett avec « Nova verba, mundus novus ». Il fait aussi dans le court et percutant avec « Emily vous répond » et « La peste », voire même fait preuve d’une belle capacité d’imagination ethnologique dans « Le livre chez diverses espèces ».
L’auteur s’intéresse aussi à l’anticipation avec « Faits pour être ensemble », assez glaçant avec ses grandes sociétés du web comme ShareAll et Centillion qui ne sont que des façades pour pointer du doigt Facebook et Google, et imaginer ce que ces sociétés font pour « contrôler » le citoyen, entre autres via ces fameux assistants personnels dont on nous rebat les oreilles (Siri, Cortana, etc…).
« L’Oracle » nous plonge en plein « Minority report » dans cette société où l’Oracle montre une partie de son avenir à chaque citoyen. Parfois il s’agira d’un heureux événement, parfois un crime… Les criminels sont donc emprisonnés avant d’avoir commis leur crime. Réflexion sur nos choix, la façon que chacun a de jouir de la vie, quelle que soit son issue, ce texte est une belle leçon.
Ken Liu met aussi sans aucun doute beaucoup de lui-même dans ses textes, et cela se sent dans ses personnages ou dans le contexte des récits. « La plaideuse » est ainsi une enquête en forme de conte asiatique très réussi. Dans le même ordre d’idée, « Mono no aware », du nom d’un concept japonais, et nouvelle qui a reçu le prix Hugo, fait la part belle à la culture japonaise dans ce texte de SF qui voit l’humanité quitter la Terre sous la menace d’un astéroïde.
La communication, la compréhension de l’autre sont au centre de « La forme de la pensée » avec ces humains confrontés à une nouvelle civilisation sur une planète étrangère, et Liu montre également qu’il sait jouer du registre de la hard-SF avec « Le peuple de Pélé » et « Les vagues », cette dernière lorgnant ouvertement du côté de la post-humanité, sous une forme poétique, je n’aurais jamais cru cela possible !
Mais le grand chef d’oeuvre de l’auteur, le récit qu’il ne faut pas manquer, celui qui peut à lui tout seul justifier l’achat du recueil (qui est de toutes façons à mon avis un indispensable de tout amateur de SF), celui qui entre immédiatement dans mon panthéon personnel des nouvelles de SF, c’est bien sûr celui qui donne son nom au recueil et qui a raflé trois prix majeurs (Hugo, Nebula et World Fantasy) : « La ménagerie de papier ». Dans cette nouvelle, un américain d’origine chinoise se souvient de sa mère qui savait donner vie à des animaux en origami. Je n’en dis pas plus, cette nouvelle est un chef d’oeuvre, heureux(se) celui (celle) qui découvrira ce texte vierge de toute information. Magistral !
Il y a bien quelques récits plus faibles que les autres, notamment « L’erreur d’un seul bit » dont je suis totalement passé à côté, mais ce recueil est à classer directement parmi les grandes sorties de l’année, et même parmi les grandes sorties tout court. Nul doute que Ken Liu (qui n’a que 39 ans !) est d’ores et déjà un grand auteur de SFFF, un auteur touche à tout et qui peut réussir dans tous les domaines. Un auteur que j’ai vraiment hâte de retrouver dans d’autres textes, romans comme nouvelles (et dans ces dernières il y a de la matière, puisque la bibliographie de fin de volume dénombre plus d’une centaine de textes, les 19 présents ici sont donc loin d’en avoir fait le tour). Éditeurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire !
Lire aussi les avis de Blackwolf, Soleil Vert, Philémont, la Yozone, Lune, Gromovar, Fix.
Tu m’as oubliée 🙁
Sinon un excellent recueil, d’un auteur majeur de la SF actuelle, sans aucun doute ! Je ne dirai pas que L’Erreur d’un seul bit est faible, mais que sa portée nous échappe. J’y ai repensé quelques temps après lecture, comme quoi… Monsieur Durastanti disait sur le forum du PSF (section Cercle d’Atuan) qu’elle faisait écho à une nouvelle de Ted Chiang, je suppose qu’il serait intéressant de les lire ensemble.
Et la nouvelle éponyme du recueil est un chef d’œuvre, je te plussoie grave sur ce coup ! C’est magique et délicat, émouvant… Époustouflant.
Oups, oubli corrigé. 😉
Ca tombe bien, Ted Chiang est au menu de la lecture commune du mois de juin. Ce sera l’occasion de mettre les deux nouvelles en parallèle.
Je te conseille Ted Chiang que j’ai beaucoup aimé. Et je rajoute celui-là dans mes livres à acheter.
Comme dit au-dessus, il y a de fortes chances que je lise son recueil « La tour de Babylone » dans les jours qui viennent.
Je pense que tu vas aimer Ken Liu. 😉
Commandé aussi sec ce Ken Liu – en occase vu mes finances. Pour une fois qu’un bouquin SF nouveau excite ma curiosité…
Yes ! J’ai hâte de voir ce que tu en auras pensé. 😉
Je crois bien que j’avais raté la comparaison avec Ted Chiang, dommage, ça me refroidit un peu ça…. (Ted Chiang, il fait des nouvelles avec des maths. Je crois bien que le traumastime des maths au lycée n’est pas encore passé.)
Moi qui suis matheux, je n’ai pas vu beaucoup de maths dans les nouvelles de Chiang ?!?
Je vous dirai quand je l’aurai lu. 🙂
La comparaison n’est pas de moi, d’ailleurs je n’ai pas lu Ted Chiang (mais ça ne saurait tarder).
Ken Liu fait un peu de hard-SF, mais rien d’incompréhensible, loin de là.
Allez hop noté dans ma liste à lire, histoire de ne pas l’oublier ^^
C’est du bon, tu ne vas pas le regretter. 😉
Un excellent recueil. Hâte d’en lire plus de l’auteur.
Même chose pour moi. Content que tu aies aimé. 😉
Ah ben, je ne l’ai dit pas ici. Je l’ai lu mais je n’ai pas été transcendé.
Oui, j’avais vu ton article.
Dommage, peut-être que ce sera mieux avec un autre recueil ou roman de l’auteur ? Gardons espoir. 😉
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