Saga d’Eiríkr le Rouge / Saga des Groenlandais
Quatrième de couverture :
Eiríkr le Rouge, condamné au bannissement à la suite des meurtres d’Eyjolfr la Fiente et de Hrafn le Duelliste, met les voiles et part à la découverte du Groenland. Leifr, fils d’Eiríkr et de Thjodhildr, part du Groenland vers la Norvège mais son bateau est détourné vers les Hébrides… Quant à Thorfinnr Karlsefni, fils de Thordr Tête-de-Cheval, il part explorer le Vinland, contrée lointaine de Terre-Neuve…
Le nom d’Eiríkr le Rouge évoque l’aventure, la bravoure, la magie des Vikings et les découvertes de contrées sauvages du Grand Nord…
Vinland Saga
Je savais tout de même à peu près dans quoi je mettais les pieds en démarrant cette lecture, notamment grâce à pas mal de documentations sur le sujet (podcasts, articles, etc…). Il n’empêche que le choc fut rude.
Mais revenons un peu sur l’historique de la chose. Les sagas ont pour la plupart été écrites durant les XIIème et XIIIème siècle, par des auteurs inconnus. Il y a plusieurs types de sagas, celles dont il est question ici font partie de la famille des sagas dites « islandaises », c’est à dire s’intéressant à des héros islandais ayant vécus bien souvent deux ou trois siècles avant l’écriture du texte. Il s’agit donc de faits plus ou moins historiques, mais forcément transformés par le prisme du temps et de la religion, puisque entre-temps, l’Islande est devenue chrétienne. Pas de Thor ou d’Odin ici, les sagas islandaises s’intéressent aux hommes de l’an 1000 ou autour, à l’inverse des sagas dites légendaires qui, elles, s’intéressent aux mythes d’avant la colonisation islandaise (tels Sigurd qui n’est autre que l’équivalent islandais du Siegfried germanique, ou Hrolf Kraki) ou de l’Edda pour la mythologie pure.
Ceci étant posé, il faut donc garder à l’esprit que les sagas sont des textes médiévaux, donc pas forcément faciles d’accès. Et les premières lignes ne démentent en rien cette hypothèse. L’écriture est très sèche, très concise, voire laconique. Pas ou très peu de descriptions, absence totale de lyrisme, aucun parti pris de l’auteur, des faits, uniquement des faits, d’où une certaine froideur. Ne cherchez pas de grandes phrases ou d’envolées lyriques, l’économie de mots est de rigueur ici. Voilà qui est dit.
Mais ce n’est pas le seul écueil. L’autre difficulté (sans doute la plus gênante pour un lecteur non habitué) est l’abondance de détails généalogiques à chaque nouveau personnage qui apparaît. Untel fils de, lui-même fils de, etc… Si on ajoute à cela le fait que les personnages se croisent régulièrement (il y a d’ailleurs une forte intertextualité entre les différentes sagas), que les noms ne sont pas courants pour un lecteur « latin », et que bien souvent des personnages différents portent le même prénom, on voit vite que ce ne sera pas simple (surtout quand, comme moi, on ne peut pas s’empêcher de dresser un arbre généalogique dans sa tête pour chaque personnage)…
Alors avec tout ça, on imagine que la lecture a dû être galère. Très honnêtement, au début, il faut s’accrocher. Et puis, à condition sans doute de s’intéresser quelque peu au sujet, que ce soit l’histoire de l’Islande ou le peuple viking en général, on y trouve un petit quelque chose de fascinant, aidé par les nombreuses notes de bas de page de Régis Boyer, grand spécialiste du sujet nordique en France, pour éclaircir certains éléments. Rien de moins que l’impression de lire une partie de l’Histoire, qui plus est une partie méconnue, voire presque mythique puisque « La saga d’Eiríkr le Rouge » met en lumière la soit-disant découverte de l’Amérique par les vikings (découverte qui ne fait plus guère de doutes aujourd’hui, notamment après la découverte du site de l’Anse aux Meadows au Canada). D’ailleurs, bien qu’il soit question d’Eiríkr le Rouge bien sûr, il n’est finalement pas le personnage principal. Ce sont plutôt ses descendants directs qui sont à l’honneur, que ce soit Leifr, Thorsteinn, Thorvald ou Freydis, ou bien encore Thorfinn Karlsefni, à travers différents voyages vers le fameux Vinland (la côte nord-est américaine). Eiríkr le Rouge reste tout de même le fondateur de la première colonie viking au Groenland.
Et finalement, au-delà de ce style très sec, on finit par s’attacher à ces personnages d’une manière ou d’une autre (même si l’auteur, par ailleurs inconnu comme je le disais plus haut, ne fait clairement rien pour faire naître l’empathie : la mort de certains personnages, parfois importants et respectés, se fait bien souvent en trois mots…), marins aventureux, parfois colériques, brutaux (Eiríkr n’est pas forcément un enfant de choeur, puisqu’il fut banni pour meurtre, tout comme son père avant lui), mais également marchands, commerçants, et toujours prompts à aller à la découverte de ce qui pourrait leur apporter quelques richesses supplémentaires. Et ces chroniques de voyageurs gardent un étonnant charme, un brin irréel, comme lors d’un contact avec des autochtones amérindiens.
Je l’ai dit plus haut, la valeur historique des ces récits reste soumise à caution (on s’en aperçoit rapidement puisque « La saga d’Eiríkr le Rouge » et « La saga des Groenlandais » reprennent à peu près les mêmes voyages, mais elles divergent, parfois beaucoup, sur de très nombreux points), mais elles apportent un éclairage tout à fait lisible aujourd’hui sur un mode de vie qui a plus d’un millénaire. Pour qui s’intéresse à cette partie de l’Histoire, c’est sans aucun doute une lecture incontournable. Pour ceux qui cherche « l’émerveillement stylistique » en revanche…
Quant à moi, mon intérêt pour le genre ne faiblit pas, je vais donc m’intéresser à une deuxième saga, « La saga de Gísli Súrsson », dans cette même collection « Folio 2€ » qui reste certainement le meilleur moyen pour découvrir à peu de frais si on accroche ou pas (même si pour le coup, la couverture reprend un des nombreux clichés qui poursuivent les vikings mais qui n’ont plus lieu d’être : les casques à cornes. C’est peut-être plus vendeur, mais ce n’est pas comme cela qu’on arrivera à faire oublier ces mensonges…). Pour moi, la réponse est oui.
Lire aussi les avis de Ryo Saeba, YueYin, Spurinna, le blog bleu, Master Megen, Yria, Isil,
Ahaha. Les généalogies, c’est le mal !!!
C’était ma première saga… Depuis, je m’y suis fait, mais c’est vrai que c’est assez déroutant, voire rébarbatif.
C’est comme ça, c’est encore aujourd’hui un élément fondamental de la société islandaise, et un passage obligé dans les sagas. 😉
Hin hin… je t’avoue être moins convaincue parce que les « fils de machin, arrière-petit-fils de trucmuche et beau-fils de bidule », ça me perd totalement ! Déjà que j’avais du mal dans L’Odyssée, mais là, avec des prénoms islandais impossibles à prononcer (et qui en plus ne sont pas uniques si plusieurs personnages ont le même (quelle idée !)), je crois que ce serait la mort. Mouhahaha.
C’est sûr que ça peut être gênant. Même si ça n’est pas le coeur des sagas, c’est un élément qui revient très régulièrement, notamment au début puisqu’il faut bien introduire les personnages. Ça se calme par la suite, mais à chaque nouveau personnage on y a droit.
Pour les noms, ça peut se comprendre, c’est comme si plusieurs « Pierre » se croisent dans un roman. Sauf que pour des latins comme nous, c’est plus difficile à suivre avec ces prénoms si typés.^^
De toutes façons, on ne se lance pas dans les sagas la fleur au fusil. Il faut être, je pense, intéressé par le genre, sinon c’est risquer le casse-pipe… 😀
Tu me donnes encore plus envie d’essayer ! Si possible, je m’en servirai surement aussi de porte d’entrée. D’autant plus que je me suis lancé dans « Vinland Saga », alors je suis déjà dans le sujet (pour le meilleur ou pour le pire, la comparaison risque d’être rude ^^).
Héhé, tant mieux si je ne t’ai pas dégoûté, la découverte n’en sera que meilleure. 😉
C’est la première saga que j’ai lue, mais à mon sens l’autre disponible en Folio 2€ (« La saga de Gísli Súrsson » dont la chronique arrive la semaine prochaine) est encore une meilleure porte d’entrée, plus humaine, tandis que celle-ci reste assez distante. Elle vaut surtout pour la fameuse découverte du continent américain. Mais si c’est ce qui t’intéresse puisque tu es plongé dans le manga « Vinland Saga », alors go ! 😉
J’ai découvert le blog il y a peu, et je dois dire que c’est un excellent filon de revues intéressantes ! Bravo l’auteur. 🙂
Sinon je suis aussi heureuse de voir qu’il reste des curieux qui se lancent dans la lecture de Sagas, et la découverte de la civilisation viking.
Pour ceux qui veulent commencer dans le sujet, les livres à 2€ sont attractifs niveau prix, c’est indéniable, mais j’ai tendance à penser que les sagas légendaires type Saga de Ragnar aux braies velues ou Saga de Hrolfr sans terre publiées chez Anacharsis sont plus accessibles : il reste l’aspect un peu aride de la narration, les généalogies qui remontent au moins trois générations en arrière, mais elles contiennent généralement plus d’événements, des éléments magiques et des péripéties qui parlent plus aux lecteurs de notre siècle.
Bonnes lectures, et au plaisir de lire la suite de tes revues !
Bienvenue par ici, et un grand merci pour tes compliments ! 😉
Je suis heureux de faire partie de ces curieux, c’est une très belle découverte, j’en suis devenu accro !
Pour la découverte, le tarif des Folio 2€ est évidemment attractif, et permet de limiter la prise de risques. Moi je suis déjà atteint, j’ai acheté le volume des « Sagas légendaires islandaises » chez Anacharsis, et celui de la Pléiade sur les « Sagas islandaises ». Du coup ce que tu dis m’intéresse. J’ai d’ailleurs déjà lu la saga de Ragnar (qui va me permettre de parler de la série TV « Vikings »), mais pas celle de Hrolf sans terre (également lues : la Völsunga saga dont je parlerai sur ce blog, et celle de Hrolf Kraki pour laquelle je parlerai de l’adaptation faite par Poul Anderson). C’est vrai que les sagas légendaires apportent un plus avec cet aspect mythique, mais elles perdent je trouve un peu d’humanité, avec ces exploits, ces rois sans peurs, etc…
Les sagas islandaises proprement dites me semblent s’intéresser à des gens plus « normaux », plus à hauteur d’homme en somme. A ce titre, « La saga de Gísli Súrsson » me paraît être un excellent point d’entrée (et en Folio 2€ !^^).
Ceci dit, je n’ai pas assez de lectures du genre au compteur pour être affirmatif, donc je fais confiance à ton point de vue.
Tout dépend sans doute de ce qui intéresse le lecteur : l’épique (la saga de Hrolf Kraki est très réussie de ce point de vue) ou l’humain. Moi j’aime bien les deux !^^
Ca me rappelle un peu quand je me suis lancée dans la lecture de La morte d’Arthur, j’ai jeté l’éponge à la moitié parce que j’en avais marre de « Les deux chevaliers se rencontrèrent, se défièrent en duel, se battirent avec leurs lances, cassèrent leurs lances, prirent leurs épées et les écus, cassèrent leurs écus » et ainsi de suite toutes les 3 pages avec des protagonistes différents, à croire qu’ils se baladaient avec leur armurerie xD
En même temps on ne sait pas ce que les gens dans 500 ans penseront de nos textes actuels…
On n’est pas du tout dans le roman courtois de chevalerie ici, mais le style du récit a sans doute quelques similitudes avec le genre.
Mais c’est sûr qu’il faut être bien conscient de ce qu’on lit : des textes médiévaux. Il ne faut pas oublier que, concernant les sagas islandaises, ça date des XIIème-XIIIème siècles. C’est déjà remarquable d’avoir des textes en prose à cette époque.
Le prisme de la religion et du temps… donc de la sublimation, je suppose ? 🙂
Ouh, c’est digne de cascades cérébrales entre les faits livrés abruptement et la poussée des arbre généalogiques.
Comment les casques à cornes sont un cliché ? 😉
Pas forcément sublimation non, plutôt une transformation pas forcément remarquable au premier coup d’oeil, mais qui parsème le texte de quelques références chrétiennes qui n’ont rien à faire a priori dans un contexte où la chrétienté ne s’est pas encore installée.
Pour les arbres généalogiques, je ne désespère pas de trouve quelque fou sur internet qui aura dressé ces arbres généalogiques à ma place ! 😀
Casques à cornes : clichés ? Un peu oui, ils n’ont jamais existé en réalité ! 😉
Je l’ai offert à l’Homme il y a des années et il ne l’a jamais lu… ^^ Je voulais le retrouver car j’ai croisé des Vikings dans une traduction cet hiver, mais c’est très ambitieux comme lecture, je me demande ce que ça donnerait.
C’est assez court, mais pas forcément simple à lire, ça demande un peu de concentration. Ce genre de texte ne peut pas plaire à tout le monde, c’est évident. Tente le coup, tu verras bien ! 😉
En folio à 2€ je vais me laisser tenter. Le style et la généalogie ne me font pas peur 🙂
Voilà un vrai aventurier ! 😀
Ceci dit, pour débuter je te conseillerais plutôt la saga de Gisli Sursson. 😉
Il est aussi dans ma pile. Peut-être après mes lectures de Northlanders ? Je ne m’attends pas à un style moderne ni travaillé comme aujourd’hui, mais cela doit offrir des infos historiques intéressantes et ouvrir vers un imaginaire presque disparu…
Moderne, non, mais les traductions sont récentes donc on n’a pas non plus une langue archaïque, au-dealà du style un peu rèche. C’est donc tout à fait abordable.
Et il y a une part de légendaire non négligeable, surtout sur cette saga là.