Saga d’Eiríkr le Rouge / Saga des Groenlandais

Posted on 6 avril 2015
Il y a un certain temps que les sagas islandaises me trottaient dans la tête, et puis récemment, « L’épée brisée » de Poul Anderson, s’inspirant ouvertement de ces sagas (au moins pour le style), puis les comics « Northlanders », ont fini de me mettre le pied à l’étrier. Me voilà donc enfin en train de découvrir ce pan majeur de la culture islandaise.

 

Quatrième de couverture :

Eiríkr le Rouge, condamné au bannissement à la suite des meurtres d’Eyjolfr la Fiente et de Hrafn le Duelliste, met les voiles et part à la découverte du Groenland. Leifr, fils d’Eiríkr et de Thjodhildr, part du Groenland vers la Norvège mais son bateau est détourné vers les Hébrides… Quant à Thorfinnr Karlsefni, fils de Thordr Tête-de-Cheval, il part explorer le Vinland, contrée lointaine de Terre-Neuve…

Le nom d’Eiríkr le Rouge évoque l’aventure, la bravoure, la magie des Vikings et les découvertes de contrées sauvages du Grand Nord…

 

Vinland Saga

La saga d'Eirikr le RougeJe savais tout de même à peu près dans quoi je mettais les pieds en démarrant cette lecture, notamment grâce à pas mal de documentations sur le sujet (podcasts, articles, etc…). Il n’empêche que le choc fut rude.

Mais revenons un peu sur l’historique de la chose. Les sagas ont pour la plupart été écrites durant les XIIème et XIIIème siècle, par des auteurs inconnus. Il y a plusieurs types de sagas, celles dont il est question ici font partie de la famille des sagas dites « islandaises », c’est à dire s’intéressant à des héros islandais ayant vécus bien souvent deux ou trois siècles avant l’écriture du texte. Il s’agit donc de faits plus ou moins historiques, mais forcément transformés par le prisme du temps et de la religion, puisque entre-temps, l’Islande est devenue chrétienne. Pas de Thor ou d’Odin ici, les sagas islandaises s’intéressent aux hommes de l’an 1000 ou autour, à l’inverse des sagas dites légendaires qui, elles, s’intéressent aux mythes d’avant la colonisation islandaise (tels Sigurd qui n’est autre que l’équivalent islandais du Siegfried germanique, ou Hrolf Kraki) ou de l’Edda pour la mythologie pure.

Ceci étant posé, il faut donc garder à l’esprit que les sagas sont des textes médiévaux, donc pas forcément faciles d’accès. Et les premières lignes ne démentent en rien cette hypothèse. L’écriture est très sèche, très concise, voire laconique. Pas ou très peu de descriptions, absence totale de lyrisme, aucun parti pris de l’auteur, des faits, uniquement des faits, d’où une certaine froideur. Ne cherchez pas de grandes phrases ou d’envolées lyriques, l’économie de mots est de rigueur ici. Voilà qui est dit.

Alors Thorvaldr dit à ses compagnons : « Je veux maintenant que nous érigions la quille sur ce cap et que nous appelions celui-ci Kjalarnes. » Et c’est ce qu’ils firent. Puis ils s’en allèrent de là, partirent vers l’est, et pénétrèrent dans les embouchures du fjord le plus proche et arrivèrent à la pointe qui s’avançait là. Elle était toute couverte de forêts. Ils mirent leur bateau au mouillage, lancèrent une passerelle et là, Thorvaldr monta à terre avec tous ses compagnons.

Mais ce n’est pas le seul écueil. L’autre difficulté (sans doute la plus gênante pour un lecteur non habitué) est l’abondance de détails généalogiques à chaque nouveau personnage qui apparaît. Untel fils de, lui-même fils de, etc… Si on ajoute à cela le fait que les personnages se croisent régulièrement (il y a d’ailleurs une forte intertextualité entre les différentes sagas), que les noms ne sont pas courants pour un lecteur « latin », et que bien souvent des personnages différents portent le même prénom, on voit vite que ce ne sera pas simple (surtout quand, comme moi, on ne peut pas s’empêcher de dresser un arbre généalogique dans sa tête pour chaque personnage)…

Il y avait un homme qui s’appelait Thorvaldr ; c’était le fils d’Ásvaldr fils d’Ulfr, fils de Thórir aux bœufs. Son fils s’appelait Eiríkr le Rouge. Le père et le fils quittèrent le Jadarr pour l’Islande, pour cause de meurtres, et colonisèrent le pays dans les Hörnstrond, et habitèrent à Drangar. C’est là que mourut Thorvaldr. Eiríkr épousa alors Tjódhlidr, fille de Jörundr fils d’Úlfr et de Thorbjörg Poitrine-de-Knörr qu’avait épousée Thorbjörn du Haukadalr.

Alors avec tout ça, on imagine que la lecture a dû être galère. Très honnêtement, au début, il faut s’accrocher. Et puis, à condition sans doute de s’intéresser quelque peu au sujet, que ce soit l’histoire de l’Islande ou le peuple viking en général, on y trouve un petit quelque chose de fascinant, aidé par les nombreuses notes de bas de page de Régis Boyer, grand spécialiste du sujet nordique en France, pour éclaircir certains éléments. Rien de moins que l’impression de lire une partie de l’Histoire, qui plus est une partie méconnue, voire presque mythique puisque « La saga d’Eiríkr le Rouge » met en lumière la soit-disant découverte de l’Amérique par les vikings (découverte qui ne fait plus guère de doutes aujourd’hui, notamment après la découverte du site de l’Anse aux Meadows au Canada). D’ailleurs, bien qu’il soit question d’Eiríkr le Rouge bien sûr, il n’est finalement pas le personnage principal. Ce sont plutôt ses descendants directs qui sont à l’honneur, que ce soit Leifr, Thorsteinn, Thorvald ou Freydis, ou bien encore Thorfinn Karlsefni, à travers différents voyages vers le fameux Vinland (la côte nord-est américaine). Eiríkr le Rouge reste tout de même le fondateur de la première colonie viking au Groenland.

Et finalement, au-delà de ce style très sec, on finit par s’attacher à ces personnages d’une manière ou d’une autre (même si l’auteur, par ailleurs inconnu comme je le disais plus haut, ne fait clairement rien pour faire naître l’empathie : la mort de certains personnages, parfois importants et respectés, se fait bien souvent en trois mots…), marins aventureux, parfois colériques, brutaux (Eiríkr n’est pas forcément un enfant de choeur, puisqu’il fut banni pour meurtre, tout comme son père avant lui), mais également marchands, commerçants, et toujours prompts à aller à la découverte de ce qui pourrait leur apporter quelques richesses supplémentaires. Et ces chroniques de voyageurs gardent un étonnant charme, un brin irréel, comme lors d’un contact avec des autochtones amérindiens.

Je l’ai dit plus haut, la valeur historique des ces récits reste soumise à caution (on s’en aperçoit rapidement puisque « La saga d’Eiríkr le Rouge » et « La saga des Groenlandais » reprennent à peu près les mêmes voyages, mais elles divergent, parfois beaucoup, sur de très nombreux points), mais elles apportent un éclairage tout à fait lisible aujourd’hui sur un mode de vie qui a plus d’un millénaire. Pour qui s’intéresse à cette partie de l’Histoire, c’est sans aucun doute une lecture incontournable. Pour ceux qui cherche « l’émerveillement stylistique » en revanche…

Quant à moi, mon intérêt pour le genre ne faiblit pas, je vais donc m’intéresser à une deuxième saga, « La saga de Gísli Súrsson », dans cette même collection « Folio 2€ » qui reste certainement le meilleur moyen pour découvrir à peu de frais si on accroche ou pas (même si pour le coup, la couverture reprend un des nombreux clichés qui poursuivent les vikings mais qui n’ont plus lieu d’être : les casques à cornes. C’est peut-être plus vendeur, mais ce n’est pas comme cela qu’on arrivera à faire oublier ces mensonges…). Pour moi, la réponse est oui.

 

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