Le temps des changements, de Robert Silverberg
Quatrième de couverture :
Un incontestable classique.
The times they are a-changin’
« Je m’appelle Kinnal Darival, et je vais tout vous dire à mon sujet. »
C’est sur ces mots que débute le roman, les chroniques de la vie du narrateur. L’introduction donne tout de suite le ton et m’a captivé : la planète Borthan, théâtre du récit, interdit à ses habitants de parler de soi, et plus encore d’utiliser le pronom personnel « je », expression jugée particulièrement obscène. Mais Kinnal Darival s’est dressé contre cette tradition, et a décidé de coucher sa vie par écrit, alors que celle-ci semble être en danger. Dès lors, le narrateur va prendre le temps de nous conter tous les événements qui ont conduit à son soulèvement, depuis sa jeunesse jusqu’au tournant de sa vie qui l’a mis au ban de la société.
Il y a incontestablement du Jack Vance dans ce récit, à travers cette société si particulière qui a banni le fait de parler à la première personne. Mais il y a plus. Le narrateur prend ainsi le temps de nous détailler la géographie du monde, en peu de pages mais de manière particulièrement claire. Résultat : on visualise sans problème la planète Borthan, ses continents, ses provinces, tout cela dans le but de rendre Borthan plus concrète. Et ça fonctionne, l’immersion y gagne.
Autre tradition « exotique », le fait que chaque habitant de Borthan se voit attribuer un frère et une sœur « par le lien », sortes d’alliances de circonstance faites pour arranger les familles des personnes concernées. Un lien qui dure la vie entière mais qui a aussi un avantage : en dehors des purgateurs (sortes de confesseurs religieux), les frères et sœurs par le lien sont les seules personnes auxquelles un citoyen peut parler de lui librement (sans toutefois utiliser le pronom « je », suprême sacrilège !), à la condition qu’il écoute à son tour son interlocuteur parler de lui-même.
Bref, Robert Silverberg a imaginé un monde étonnant, différent mais surtout intéressant. Et comme Kinnal Darival a une vie agitée, une moitié du roman est consacrée à la découverte de ce monde et à l’apprentissage de la vie de Kinnal, parfois à la dure. Une moitié de roman (roman court tout de mêmes : 250 pages), ça peut paraître beaucoup, mais la finesse d’écriture de l’auteur fait passer cela sans aucun problème. Puis vient la rencontre avec Schweiz, cet homme venu de la planète Terre qui va planter le graine de la sédition dans l’esprit de Kinnal. Il est sans doute symptomatique de l’époque de l’écriture du récit de voir que « l’ouverture de l’esprit » du narrateur se fasse grâce à la prise de drogue…
Toujours est-il que plus rien ne sera comme avant. Et avec ce changement d’état d’esprit (qui ne se fera pas sans certaines difficultés, le changement étant vraiment radical pour un homme qui a toujours vécu dans le déni de soi), Robert Silverberg dévoile tout son talent dans le questionnement de l’être humain, à une époque d’écriture (1971) qui a donné quelques uns de ses plus beaux romans. La foi, l’amour, la communication, l’acceptation de l’autre, la tolérance sont au centre du roman. Les personnages sont intéressants et Kinnal Darival n’a rien d’un héros sans peur et sans reproche, lui qui vient d’une famille noble et qui, quand bien même il tentera de ne pas profiter de son statut social, ne pourra s’empêcher de bénéficier de certains passe-droits. De même il n’est pas un surhomme : ce n’est pas par les armes qu’il se fera un nom, et il ne manque pas d’insister sur ses défaillances sexuelles…
Le thème du soulèvement d’un homme contre une société jugée trop radicale et liberticide n’a rien d’original (c’est encore une fois récurrent dans l’oeuvre de Jack Vance), mais il est ici particulièrement bien traité, le roman se lisant avec une remarquable aisance, et l’auteur offrant au lecteur une fin ouverte, en brisant au passage le quatrième mur. Encore du tout bon pour Silverberg !
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Silverberg a écrit plusieurs romans à l’époque autour de la drogue. Je ne connaissais pas du tout celui-là.
Ce n’est pas nécessairement l’aspect que je préfère, très lié à une époque qui n’est plus. Mais le roman reste intéressant et à découvrir.