L’éléphant s’évapore, de Haruki Murakami
Quatrième de couverture :
Un vieil éléphant disparaît sans laisser de traces, avec son vieux gardien dans une banlieue résidentielle de Tokyo. Un couple pris d’une fringale décide de réaliser en pleine nuit un fantasme : dévaliser une boulangerie. Un homme à l’habitude de mettre le feu à une grange tous les deux mois… C’est, en 17 nouvelles, tout l’univers insolite et hors norme de Murakami que nous offre « L’éléphant s’évapore ». À travers ces histoires, petits contes anodins de notre quotidien, il déploie encore son art magistral, et nous montre qu’il sait comme personne comment transfigurer la banalité de nos existences.
D’étranges petits riens qui percent la routine du temps qui passe
Dix sept nouvelles composent ce recueil d’un peu plus de 400 pages, de quoi avoir un bel aperçu de ce que Murakami peut faire en nouvelles. Je ne vais pas viser ici l’exhaustivité mais plutôt revenir sur ce qui m’a touché, sur un plan plus général. D’une part parce que c’est plus simple pour moi (^^) mais aussi parce que ça correspond à mon état d’esprit à l’issue de ma lecture : ces nouvelles forment un tout à la fois indivisible et constitué de parties très différentes.
Il y a en effet différents styles de récit, du pur réalisme (« Family Affair », « La fenêtre », « Le silence ») à l’ouvertement fantastique (« Le nain qui danse ») en passant par un mélange des genres, toujours savoureux (« Les granges brûlées », « L’éléphant s’évapore ») ou bien par quelque chose de difficilement qualifiable, sorte de bizarrerie assumée (« TV People », « Le monstre vert ») ou de délire empli de digressions (« Le communiqué du kangourou », une belle leçon d’écriture).
Mais ce qui caractérise à mon sens le style de Murakami tel qu’on peut le découvrir ici, c’est son ancrage dans le quotidien. Ses personnages sont en effet des personnes comme vous et moi, qui vaquent à leur petite vie. Je dis petite car on aperçoit souvent que leur vie ne leur convient pas forcément, et qu’ils rêvent parfois d’autre chose d’un peu plus passionnel. Le meilleur exemple reste la nouvelle « Sommeil » (sans doute le sommet du recueil) dans laquelle le narrateur est une femme qui a cessé de dormir. Pas d’explications rationnelles, ce n’est pas ce qui intéresse Murakami (un point essentiel, puisqu’il n’y a jamais d’explications sur les phénomènes étranges qui apparaissent ici ou là). Le fait est qu’elle ne dort plus. Elle vit sa vie normale en journée, et la nuit, lorsqu’elle se retrouve seule, se met dans un premier temps à lire de manière passionnée, boire quelques verres d’alcool et manger du chocolat. Par la suite, elle part en virée nocturne, seule au volant de sa voiture. La transgression d’une vie qui ne l’intéresse plus. Cette nouvelle est fascinante (et la fin est à la hauteur) et très émouvante. Et fait sacrément réfléchir.
Les autres nouvelles sont toujours construites sur un quotidien relativement classique (au début du premier récit du recueil, « L’oiseau à ressort et les femmes du mardi », le narrateur se fait cuire des spaghettis…), et puis parfois, de manière progressive (mais pas toujours), on dérive et l’auteur parvient à installer une atmosphère à peine différente mais qui pourtant n’a rien de réelle. On est vraiment dans l’onirisme, avec ses personnages étranges qui apparaissent et disparaissent tout aussi vite, des phénomènes bizarres, étranges, mais qui curieusement ne semblent jamais inquiéter les narrateurs de ces récits. Il ressort de ce recueil comme une sorte de « détachement zen » des personnages, détachement qui contribue totalement à cette ambiance étrange.
A travers ces récits, d’autres thèmes reviennent également régulièrement, notamment la musique, présente dans quasiment toutes les nouvelles, ou bien le sexe, non pas sous forme de descriptions de relations, mais plutôt dans une sorte de tension sexuelle diffuse que l’on retrouve à de nombreuses reprises. Ou bien c’est moi qui suis obsédé !^^
La plume Murakami est d’une impressionnante limpidité. Ecriture simple mais pas simpliste, qui parvient en peu de mot à faire sourire, à faire réfléchir, ou à faire basculer le récit dans « autre chose ». C’était une de mes interrogations, interrogation vite levée, et les pages défilent les unes après les autres. Alors oui, j’ai dévoré « L’éléphant s’évapore », sans pouvoir m’arrêter. Parce que toutes ces nouvelles, que le fantastique y soit présent ou non, ont quelque chose à offrir, soit par leur ambiance, soit par le fond, souvent par les deux, même si tout n’est pas parfait (deux ou trois nouvelles m’ont laissé de marbre).
Me voilà donc plus que tenté par le reste de l’oeuvre de Haruki Murakami, et ces courtes nouvelles me semblent un bonne introduction. En tout cas pour moi, ça a rudement bien fonctionné. Après les nouvelles, j’ai prévu de lire un court roman, « Le passage de la nuit », et si ça fonctionne, je serai prêt pour m’attaquer au gros de sa production, les pavés… On reparlera donc de Murakami par ici.
Lire aussi les avis de Baroona, Julien, Tigre, Thierry Collet, Grimmy, Urobepi, Sylvie, cjeanney…
Je suis parfaitement du même avis.
Heureux que cela t’ait plu ! =D
Yep, merci pour tes bons conseils. 😉
J’ai bien aimé ton traitement original du recueil, au lieu d’évaluer chacune d’entre elles tu as essayé de livrer une synthèse réussie qui donne envie de découvrir cet auteur. J’ai été interpelé quand tu écris que les personnages « rêvent parfois d’autre chose d’un peu plus passionnel », je trouve que c’est un élément récurent dans cette culture, on retrouve d’ailleurs cette problématique dans le cinéma d’auteur nippon. J’avais lu un jour l’article d’un socio-psychologue qui racontait que durant l’enfance, les Japonais disposent d’une immense liberté, les parents leur pardonnent tout. Ce qui expliquerait une certaine mélancolie ressentie à l’âge adulte…
Merci ! 😉
Dix-sept nouvelles, c’est trop rébarbatif, et pour moi et pour le lecteur, de faire une mini-chronique sur chacune d’elle.
Il y a sans doute du vécu dans ces nouvelles, pour tout ce qui a trait au quotidien. Et si ce n’est le vécu de Murakami lui-même, on peut dire qu’il a bien analysé le comportement et les désirs de ses compatriotes.
En tout cas ce que tu dis sur les enfants, mis en parallèle avec ce qu’on sait de la société japonaise et de la pression qu’elle fait peser sur les épaules des adultes, met en lumière ces comportements de manière tout à fait singulière…
J’ai lu un roman de lui (La fin des temps je crois), j’ai trouvé ça très étrange. Après j’ai peut-être pas commencé par le bon. Mais je retrouve assez mes impressions de lecture dans ce que tu dis, au milieu de tous ces phénomèes étranges, ce qui m’a marqué c’est les repas ultra-détaillés (au point que ça donnait vraiment faim xD).
Clairement ça change de la SF pure et dure ! Étrange, c’est un mot qui convient bien à Murakami je pense ! En tout cas, je lirai d’autres écrits de lui avec plaisir.
Miam, intéressant ! Je n’ai pas encore lu « L’éléphant s’évapore » mais ce que tu décris me semble bien correspondre à ce que je connais de l’auteur. J’ai pu découvrir Murakami avec « Les chroniques de l’oiseau à ressort » il y a quelques années et j’en garde un souvenir ému. Il y a des trucs peut-être moins réussis dans ses romans, mais l’ambiance que tu décris et l’étrangeté « zen » que tu évoques sont toujours de la partie. Ses bouquins ont toujours quelque chose de planant, un truc qui semble les mettre hors du temps, et honnêtement, j’adore. A ce titre, il y a eu tout un battage médiatique sur son cycle « 1Q84 », mais en ce qui me concerne, même si je ne me suis pas ennuyé en le lisant, je considère que c’est loin d’être ce qu’il a fait de mieux… En tout cas, j’ai hâte de découvrir tes prochaines chroniques sur cet auteur !
Oui, il y a vraiment un truc, une ambiance qui se dégage des récits de Murakami. Je ne sais pas s’il est meilleur romancier que nouvelliste (ou l’inverse) mais j’ai bien l’intention d’en découvrir plus.
D’ailleurs, on m’avait aussi vivement conseillé « Les chroniques de l’oiseau à ressort ». J’avoue que ce n’est pas son cycle 1Q84 qui m’intéresse le plus, loin de là même. Pas mal d’autres choses à lire avant, et comme le monsieur fait plutôt dans la longueur (sauf « Le passage de la nuit » qui est plutôt court et qui est justement l’autre récit de l’auteur que j’ai acheté), ça risque de prendre un peu de temps…^^
En tout cas, j’épluche sa bibliographie avec soin, et je frétille (^^) rien qu’à l’idée de me jeter dans « Kafka sur le rivage », ou « La fin des temps », entre autres… 😉
Kafka sur le Rivage m’avait franchement beaucoup plu aussi, mais peut-être pas autant que les Chroniques. M’enfin, je compte sur toi pour nous parler de tout ça un de ces jours.