Fiction n°19
On ne change pas une formule qui gagne, et donc ce 19ème numéro garde la même construction que le précédent : une soixantaine de pages de rédactionnel (articles, interviews, etc…), et un peu plus de 200 pages de nouvelles.
Du côté des interviews (croisés, comme dans le 18 là encore), deux sont au programme. La première, sous forme épistolaire, entre Anne Fakhouri et Ian McDonald. Sympathique (mais je ne suis pas objectif, je bois comme de l’eau bénite tout ce qu’écrit l’auteur irlandais…) mais un peu court. Ou bien est-ce moi qui en voudrait toujours plus… Irlande, Brésil, nouvelles formes d’expression, religion, je l’ai lu avec un grand intérêt. L’autre interview croisé concerne Fabrice Colin et Serge Lehman. Beaucoup plus cérébral (intello ?), revenant sur leur conception de l’écriture et leur façon de fonctionner, j’ai pourtant trouvé l’interview particulièrement verbeux, et plein de sous-entendus entre deux auteurs qui se connaissent très bien. On sent dans cet interview une multitude de clins d’oeil entre les deux auteurs, mais le lecteur se sent du coup un peu exclu. Et quant à revenir sur le processus de l’écriture, je préfère quand cela se rapporte à une oeuvre précise, les généralités expliquées ici m’ayant finalement pas mal ennuyé…
Les articles, au nombre de trois, ont pour thème l’émergence d’une mouvance « science-fictive » au Moyen Orient dans des genres différents (musique, littérature, jeux vidéo, architecture, etc…), les différents moyens de voyager plus vite que la lumière en science-fiction, mis en corrélation avec la science d’aujourd’hui (un article qui fait donc fortement pensé aux articles « Scientifiction » de Roland Lehoucq dans le magazine Bifrost), et enfin la manipulation du temps dans différents romans, exemples et bibliographie à l’appui. Trois articles intéressants, clairs et documentés.
Et enfin, le portfolio qui a eu du mal à convaincre dans le numéro précédent est de retour, sauf qu’ici il est très réussi ! Fruit d’une collaboration entre Etienne Barillier, Arthur Morgan et le photographe américain Chistopher Perez, il nous offre une galerie des plus célèbres personnages de l’imaginaire (mais réels aussi pour certains), notamment français, du fin XIXème/début XXème siècle, le tout mixé à la sauce steampunk. Fantomas, Docteur Mabuse, Rouletabille, Arsène Lupin, Marie Curie, Mata Hari et j’en passe, une vraie belle petite collection, avec un texte d’explication pour chacun d’eux, c’est une vraie réussite !
Et enfin, les nouvelles. Dix au sommaire de ce numéro. Et comme toujours dans pareil cas, il y a du bon et du moins bon. Mais Fiction tient toujours a offrir un large panorama des littératures de l’imaginaire, donc on y trouve de la fantasy, du fantastique, de la science-fiction, dans des tons parfois très différents. Ainsi on navigue dans une sorte avant-gardisme avec « Chienne » de Robert Darvel, récit sur la télé-réalité, la vacuité du star-system et ses starlettes, l’hyper-sexualisation de notre société et l’influence des médias, qui ne m’a pas vraiment convaincu, frôlant parfois la vulgarité, avant d’enchaîner sur des récits pleins d’humour tels que « Adjudication positive » de James Morrow et sa patrouille intergalactique de la Vertu chargée de corriger certaines injustices, ou bien « Il y eut un soir… » de Sonia Quémener et cette famille qui a souhaité recréer sur une planète vierge (ou plutôt un espace de Calabi-Yau) le Jardin d’Eden au quatrième jour de la Création, sauf que tout ne se passe de manière aussi idyllique que prévu…
On y trouve aussi un récit (moyennement convaincant) de Steven Utley, « Lun’ d’argent », toujours dans cet univers où les hommes ont la possibilité de voyager dans le temps, ici dans le Paléozoïque, ou bien la très réussie « Et in Arcadia ego » de Estelle Faye et son soldat du futur, fourbu et frigorifié, qui se perd dans un MMO tellement plus prenant que la vie réelle. « Petites villes » de Felicity Shoulders, et son héroïne de 20 centimètres de haut, fait étonnamment penser à un conte d’enfance, genre Charles Perrault, alors que d’autres nouvelles comme « Code 666 » de Michael Reaves et son chauffeur d’ambulance qui passe « de l’autre côté » mais aussi « La Tête aux souhaits » de Jeffrey Ford et son enquête sur une femme retrouvée morte mais ressemblant étrangement à une autre femme, 40 ans plus tôt, se font un peu plus « littéraires », sans toutefois être pleinement réussies.
Et enfin, les deux grosses réussites à mes yeux (que j’ai d’ailleurs lues en dernier, par pur hasard !) sont « Le bout du chemin » de Robert Silverberg, extrait du recueil « Dernières nouvelles de Majipoor » tout juste paru aux éditions ActuSF, et qui me donne furieusement envie de me plonger dans le cycle de Majipoor, et surtout « Avec le temps » de Kate Wilhelm, qui détaille l’enquête de deux femmes journalistes sur une étrange famille qui, entre folie, suicides, maladies, génies et fortunes colossales, semble cacher un lourd secret. Gros morceau de ce magazine (la nouvelle pèse un peu plus de 60 pages), elle se base sur un postulat SF mais n’en fait pas du tout le cœur de son récit. Kate Wilhelm tisse plutôt un texte sur la jeunesse volée et la tyrannie et la folie sans cœur que la soif d’argent peut provoquer. Entre thriller et récit plus intimiste, « Avec le temps » appartient au genre « qu’on-ne-peut-pas-lâcher-tant-qu’on-ne-l’a-pas-terminé ».
Encore un bon numéro donc, avec ses hauts et ses bas, mais qui semble garder le cap donné par le précédent. Je serai certainement de la partie pour le vingtième !
Très beau retour sur cette revue : j’avais beaucoup aimé le n°18, mais j’attends de trouver des n° précédents avant de poursuivre. 🙂
Pour l’instant je poursuis, mais j’attends toujours l’effet « ouah » sur des récits vraiment marquants. Pour l’instant ça oscille du bof au très bon, mais j’attends encore plus.
Oui, c’est vrai que sur le 18, ce sont les interviews croisées qui nous lançaient dans le truc, plus que les nouvelles.
Mais, comme tu dis, l’objet en lui-même et le fait d’essayer d’innover avec des chroniques spécialisées et des romans-photos sont quand même à saluer.
Je trouve en effet la maquette de très grande qualité, et la ligne éditoriale vraiment intéressante.
Si la qualité est au rendez-vous, pas de problème je poursuis.
Je suis exigeant, je veux juste un peu de « Wouah effect » de temps en temps !
Ah ben, ça tombe à pic cette chronique 🙂 Bon, les entretiens croisés semblent toujours un peu pas super indispensables. Je m’en vais l’acheter – je vais essayer de tenir trois numéros avant de savoir si je laisse tomber ou pas.
Contrairement à toi, j’avais beaucoup apprécié l’entretien Niogret/Jaworski du numéro 18. Mais j’aime le monde celte…^^ Le reste est plus dispensable.
Je reste très attaché à l’objet que je trouve ici vraiment réussi. Donc je suis plus prêt à pardonner si ça manque de récits incontournables. Mais ça ne pourra pas durer éternellement.
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