Morwenna, de Jo Walton
Cela fait déjà quelque temps que Gilles Dumay, directeur de la collection Lunes d’Encre chez Denoël, avait annoncé ce roman. Auréolé de prix prestigieux, il était très attendu par la communauté des lecteurs de l’imaginaire, notamment parce qu’il s’adresse presque directement à eux.
Quatrième de couverture :
Morwenna Phelps, qui préfère qu’on l’appelle Mori, est placée par son père dans l’école privée d’Arlinghust, où elle se remet du terrible accident qui l’a laissée handicapée et l’a privé à jamais de sa sœur jumelle, Morganna. Loin de son pays de Galles natal, Mori pourrait dépérir, mais elle découvre le pouvoir des livres de science-fiction. Delany, Zelazny, Le Guin et Silverberg peuplent ses journées, la passionnent. Un jour, elle reçoit par la poste une photo qui la bouleverse, où sa silhouette a été brûlée. Que peut faire une adolescente de seize ans quand son pire ennemi, potentiellement mortel, est une sorcière, sa propre mère qui plus est ? Elle peut chercher dans les livres le courage de combattre.
Ode à la différence, journal intime d’une adolescente qui parle aux fées, « Morwenna » est aussi une plongée inquiétante dans le folklore gallois. Ce roman touchant et bouleversant a été récompensé par les deux plus grands prix littéraires de la science-fiction, le prix Hugo et le prix Nebula. Il a en outre reçu le British Fantasy Award.
Née au pays de Galles, Jo Walton vit depuis 2002 au Canada avec son mari et son fils. Elle est l’auteure d’une dizaine de romans remarqués. Bien que son roman « Tooth and Claw », inédit en français, ait reçu le World Fantasy Award en 2004, il lui a fallu attendre la parution de « Morwenna » pour rencontrer le succès qu’elle méritait.
Hommage à la SF et passage à l’âge adulte
En disant cela, on a un peu résumé tout le roman, mais comme chacun sait, l’important c’est le chemin parcouru et la manière dont on l’a parcouru. Et c’est là tout l’intérêt du récit qui met en scène en scène Morwenna, une jeune fille de quinze ans de la fin des années 70 qui à perdu sa sœur jumelle quelques mois plus tôt dans un accident qui l’a laissée elle-même handicapée. Depuis, elle s’est enfuit de chez sa mère, qu’elle pense être une sorcière, et a été recueillie par son père qu’elle n’avait jusqu’ici jamais connu, puis placée dans une école privée plutôt stricte.
En se renseignant un peu, on découvre qu’il y a bien sûr une forte partie autobiographique dans ce roman, puisque l’auteure, Jo Walton a elle-même vécu une situation un peu similaire : problèmes physiques, école privée, etc… Née en 1964, elle avait d’ailleurs 15 ans en 1979, époque du roman.
Reste à savoir si elle croyait aux fées. Car pour Morwenna cela ne fait aucun doute. Elle les voit, ces fées qui habitent les lieux perdus, qu’ils soient vierges de toute civilisation ou bien reconquis après leur abandon par les hommes, tels les ruines d’une usine désaffectée. De même, Mori use de la magie, ce pouvoir qui permet d’influer sur les événements mais qui peut facilement être pris pour un simple concours de circonstance.
Et l’intrigue, me direz-vous ? Il n’y en a pas vraiment au sens strict du terme, on suit la vie d’adolescente de Mori sur quelques mois en 79-80, entre adaptation à sa nouvelle vie, petits tracas quotidiens, découverte de nouveaux amis, premières affres de la vie sentimentale, et plongée dans sa passion : la littérature de science-fiction, qui lui permet de s’évader, d’oublier cette école où elle s’ennuie et de de s’enrichir intellectuellement. C’était une gageure de citer autant d’œuvres de SF au sein du roman, et pourtant Jo Walton s’en est sortie haut la main ! Les références sont nombreuses et parleront directement au cœur des amateurs (j’étais excité comme Morwenna lors de sa première réunion au sein du cercle de lecture SF, de même j’ai adoré la voir utiliser la litanie contre la peur dans les situations difficiles), on y trouve des avis parfois bien tranchés, mais ces passages s’inscrivent toujours harmonieusement au sein du récit, sans jamais plomber la narration. Et on sent une réelle affection pour ces œuvres : au sortir du roman, difficile de ne pas avoir envie de lire du Delany, du Zelazny ou du Le Guin…
Ainsi c’est un roman qui peut potentiellement plaire à un large public, car il y a vraiment de nombreux points d’identification sur lesquels il est possible de s’appuyer : découverte de la littérature, fréquentation de bibliothèques, appartenance à un cercle de lecture SF pour les éléments les plus « typés », mais aussi (et surtout) toute la période de l’adolescence que tout le monde a vécu, entre rêveries adolescentes et passage à l’âge adulte.
Jo Walton est parvenue à écrire un roman simple mais tendre et touchant. Son écriture, empreinte d’une certain naïveté assumée puisque le roman se présente comme un journal intime, n’y est pas pour rien. On plonge dans la vie de Morwenna, et on se laisse porter par les bons côtés, on souffre avec elle pour les mauvais. Le vie est ainsi faite et la jeune fille va devoir l’apprendre, tout en tentant de faire le deuil de sa sœur, que ce soit par l’intermédiaire de la magie ou non.
Hommage très appuyé aux amateurs de science-fiction et de fantasy mais qui a l’énorme avantage de ne pas s’adresser qu’à eux, témoignage sur l’importance des bibliothèques et des librairies dans la construction d’une identité culturelle, roman de fantasy à la lisière du réalisme (ou peut-être est-ce l’inverse…), empruntant autant à Robert Holdstock qu’à Lord Dunsany, « Morwenna » est incontestablement une sortie marquante. Et c’est aussi une belle déclaration d’amour envers les livres :
Si vous aimez suffisamment les livres, les livres vous aimeront en retour.
Je suis bien souvent d’un naturel plutôt bon public, m’enthousiasmant parfois un peu rapidement. Pour autant, je manie le terme « chef d’oeuvre » avec parcimonie. J’ai pourtant vraiment le sentiment qu’ici on n’en est pas bien loin.
Lire aussi l’avis de Gromovar.
Chronique écrite dans le cadre du challenge « SFFF au féminin » de Tigger Lilly.
Bon bah, que dire après une critique pareille ?… Tu as gagné : je me le lis ce week-end
Tant mieux, tu m’en diras des nouvelles ! 😉
Bon, je l’avais déjà repéré, et donc déjà acheté. Je le lis dès ma lecture de Dominium Mundi II terminée 🙂
J’espère que ça va te plaire ! 😉
Je suis forcément d’accord avec tout ce que tu dis ^_^. Excepté pour une chose: je ne suis pas sûre que Morwenna voie forcément des fées. Ou plutôt, j’ai l’impression qu’il est possible de le comprendre des deux manières…
Disons que c’est forcément déformé par le prisme de Morwenna elle-même. Voir et imaginer sont deux choses assez proches pour elle je pense.
Mais comme le roman est son journal intime, considérons qu’elle les voit et qu’elles existent… 😉
Conspiration élogieuse blogosphérique en approche !
Tu donnes bien envie, il passera assurément un jour entre mes mains. ^^
Héhé, bonne idée, il a tout pour plaire ce roman !
Finalement c’est une bonne chose que la sortie de l’intégrale 4 de Sandman soit décalée, je vais pouvoir m’offrir ce livre-là à la place 😀
Voilà, il faut voir le bon côté des choses !
Ho et puis, quel que soit l’oeuvre, tu aurais bien trouvé un remplaçant au tome 4 de Sandman, non ? 😉
Je ne comptais pas l’acheter mais finalement je vais me laisser tenter, merci pour cette belle critique 🙂
Mais de rien, j’espère que le roman te convaincra autant que ma chronique. 😉
Je n’ai fais que survoler ton avis car ce sera ma prochaine lecture, mais j’ai hâte de me lancer dans ce livre.
Je n’ai pas spoilé, mais je comprends, je fais la même chose.
Tu vas pouvoir savourer à 100% ! 😉
Je viens de le terminer que dire ?
Un deuil touchant accompagnée d’une entrée dans l’âge adulte ?
Oui tout à fait.
Et au final, un excellent roman.
Je me sens un peu extraterrestre à ne pas avoir été touchée ^^
Pourtant, j’aurais dû, si je puis dire. Les histoires de famille difficile et les ados décalées qui se réfugient dans leur univers en ayant du mal à affronter le monde et grandir, c’est totalement le genre de truc qui me parle. Mais ça ne l’a pas fait ici. Et si j’ai aimé trouver des idées lecture, ce catalogage m’a paru un peu too much au final, du name dropping. Bref, je suis un peu déçue de passer à côté de thématiques que j’aime, même s’il y a de belles choses dans ce bouquin quand même.
Ah, ça arrive, c’est dommage c’est sûr, mais bon…
Pour les noms d’oeuvre SF, j’ai justement trouvé que Jo Walton avait très bien réussi à intégrer ça au fil du récit, sans que cela devienne rébarbatif. Différence de perception sans doute.
Tiens, tu as bien fait de glisser un lien sur la litanie de la peur car je n’en connaissais pas le texte. J’ai trouvé Morwenna particulièrement touchante et très vraie tant dans ses réactions que ses sentiments. C’était une belle lecture 🙂
Une captive de Morwenna de plus donc ! Bienvenue au club ! 😉
J’ai comme l’impression qu’on va conquérir le monde 😀
Désolée de dire ça, mais juste celui de la SFFF. Ce livre ne fonctionne absolument pas sur mes lecteurs non amateurs de SFFF :-(.
C’est le « monde » auquel je pensais, et je trouve cela déjà très bien 🙂
Arf, dommage ça… 🙁
Oui, et pourtant j’étais tellement sûre de mon coup au départ… Je vais me rabattre sur les lecteurs ados, peut-être qu’eux ne me parleront pas du fait qu’elle voit (pense voir) des fées. Par contre, le coup du « et elle parle de vieux livres qu’on ne connaît pas », je l’aurai aussi je suppose…
Les choses qui bloquent les lecteurs, c’est cette histoire de fées ? Marrant comme certains sont vraiment bloqués sur le réel, sans pouvoir accrocher à quelque chose d’un tant soit peu imaginaire…
Après, c’est sûr que les lectures citées dans Morwenna sont très orientées, donc là, je peux comprendre qu’il puisse y avoir une réticence à aller plus loin.
La dernière lectrice qui a bloqué dessus m’a dit qu’elle ne voyait pas où l’histoire voulait en venir et qu’elle s’était ennuyée. Je lui expliqué que l’histoire ne voulait pas forcément en venir à quelque chose mais que c’était plutôt le récit d’un deuil, d’une acceptation de soi et d’une ouverture vers l’avenir. Cette fille apprend à vivre en tant qu’être unique et se raccroche aux points de repères qu’elle peut, en l’occurrence cette magie ou ce jeu qu’elle partageait avec celle qu’elle a perdu. Que la beauté du livre, c’était de voir cette fille s’affirmer et s’ouvrir aux autres tout en ne renonçant pas pour autant à qui elle est. Elle m’a regardé avec un air dubitatif. Et elle m’a répété qu’elle trouvait qu’il ne se passait rien ^_^.
C’est ton avis qui m’avait donné envie de le lire à l’époque, maintenant que c’est fait je suis bien contente de dire qu’il m’a plu autant que tu l’avais annoncé 🙂
Ah tant mieux, ça me fait plaisir ! 🙂
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