Qui a peur de la mort ?, de Nnedi Okorafor
Depuis l’article de Gromovar (et l’interview de l’auteur sur ce même blog) et le World Fantasy Award 2011 remporté par ce roman, j’avais envie de me pencher sur « Qui a peur de la mort ? » de Nnedi Okorafor. Mon intérêt pour les récits africains n’y est sans doute pas étranger. Saluons donc l’éditeur Eclipse qui a pris le risque (car en ces temps troublés pour le monde de l’édition, lancer une auteure inconnu, qui plus est étrangère donc nécessitant une traduction, est un risque) de publier ce roman dans notre pays.
Quatrième de couverture :
Afrique, après l’apocalypse.
Le monde a changé de bien des façons, mais la guerre continue d’ensanglanter la terre. Une femme survit à l’anéantissement de son village et au viol commis par un général ennemi avant de partir errer dans le désert dans l’espoir d’y mourir. Mais au lieu de cela, elle donne naissance à une petite fille dont la peau et les cheveux ont la couleur du sable.
Persuadée que son enfant est différente, elle la nomme Onyesonwu, ce qui signifie dans une langue ancienne : « Qui a peur de la mort ? »
À mesure qu’elle grandit, Onyesonwu comprend qu’elle porte les stigmates de sa brutale conception. Elle est ewu : une enfant du viol que la société considère comme un être qui deviendra violent à son tour, une bâtarde rejetée par les deux peuples.
Mais sa destinée mystique et sa nature rebelle la poussent à se lancer dans un voyage qui la forcera à affronter sa nature, la tradition, les mystères spirituels de sa culture, et à apprendre enfin pourquoi elle a reçu le nom qu’elle porte.
Ifunanya
Dans une Afrique du futur, après ce qui ressemble à un cataclysme, « Qui a peur de la mort ? » nous conte l’histoire d’Onyesonwu, une jeune fille « ewu », c’est à dire une enfant d’un viol. Sa mère, de l’ethnie okeke, a en effet été victime d’un viol, le viol utilisé comme arme de guerre, de purification ethnique par les Nurus (les enfants ewus, sont en effet rejetés par tout le monde, ainsi les Okekes, déjà esclaves des Nurus, sont sur le déclin, décimés par les massacres et l’extinction de leur héritage). Mais elle n’est pas qu’une enfant ewu. Elle est plus que cela. Mais il faudra qu’elle le découvre par elle-même, parfois dans la douleur, pour enfin réussir ce à quoi elle est destinée.
On le voit au contexte du roman, « Qui a peur de la mort ? » est un roman de science-fiction. Mais pas seulement. Prophétie, création d’une petite communauté soudée, magie, voyages et bouleversements du monde sont au programme faisant du roman aussi (et surtout) un roman de fantasy. Mais au vu de ce que j’écris au paragraphe précédent, on est bien loin d’une fantasy classique (quoique son déroulement narratif soit sans doute vraiment trop classique pour le coup…). En effet, entre viols, purification ethnique, désirs sexuels exacerbés (les personnages ont besoin de sexe, le disent, le font et le montrent clairement), société ultra patriarcale, rôle des femmes, excision, inceste, poids des traditions, désirs d’émancipation, les thèmes forts lorgnent ouvertement vers des problématiques très actuelles, sans doutes renforcées par l’histoire personnelle de l’auteur (américaine d’origine nigériane). Ainsi, son Afrique futuriste est bel et bien l’Afrique actuelle, confrontée à des problèmes actuels.
Mais tous ces thèmes, qui auraient pu rendre le roman finalement un peu indigeste, sont régulièrement allégés par les personnages. Onyesonwu bien sûr, lumineuse héroïne qui tente de tracer sa voie, entre rires et larmes, quand bien même elle devine vers quoi elle se dirige. Mais aussi Mwita, l’amour de sa vie, son soutien indéfectible. Et Luyu, Binta et Diti, ses amies que leur blessure intime a réunies, qui oscillent elles aussi entre douceur, légèreté et douleurs cachées.
Et bien sûr, un des grands plaisirs de ce roman, c’est de découvrir le « folklore » mis en place par Nnedi Okorafor. Je ne suis bien sûr pas spécialiste des contes et légendes africains, mais il me semble que l’auteur s’est abondamment inspirée du local. Mascarade, kponyungo et autres manifestations de sorcellerie africaine donnent un incontestable cachet original. Encore plus quand l’auteur y ajoute des peuplades vraiment intéressantes et que l’on aimerait connaître plus en profondeur (je pense ici au Peuple Rouge, les Vahs).
Sous une superbe couverture, signée Joey HiFi, « Qui a peur de la mort ? » s’avère donc un roman qui va plus loin que le tout-venant. Ne se voilant pas la face sur des problèmes parfois délicats, parlant ouvertement et frontalement de thèmes graves (la scène de l’excision est assez cathartique) sans tomber dans un manichéisme auquel il aurait pourtant été facile de céder (par exemple les Okekes, esclaves des Nurus, ne sont pas exempts de tout reproches, cédant eux aussi à la spirale de violence vengeresse), le roman parvient à réellement interroger et marquer le lecteur. Dommage que la narration n’ait pas bénéficié d’un peu plus de prise de risque de la part de l’auteur… Un petit bémol qui n’écorne en rien les grandes qualités de cette oeuvre qui, proposée à un prix tout à fait correct pour ce format, mériterait vraiment d’être un succès éditorial.
Lire aussi les avis de Gromovar, Cédric Jeanneret.
Chronique publiée dans le cadre du challenge « Winter Mythic Fiction » de Lhisbei.
Dans ma PAL, j’espère avoir le temps de le lire prochainement 🙂
Tu nous diras ce tu en penses ! 😉
Faut juste voter pour lui à la LC d’avril. Sinon faute qu’il passe on peut se faire un LC quand même en parallèle. On s’ouvrira un topic sur le forum ^^
Pas de souci Cornawall, faut que je le lise de toute façon 😉
Pour une fois qu’une couverture est réussie, on peut le souligner.
Tout à fait, celle-ci mériterait un prix !
Ça l’air bien, mais ça a l’air dur, non ?
Certaines scènes sont dures bien sûr.
Mais le roman en lui-même ne l’est pas tant que ça (et ne cède ni au pathos facile, ni au voyeurisme malsain), notamment grâce à une certaine forme de légèreté apportée par l’héroïne, Onyesonwu. Du coup, ça se lit vraiment très bien.
Il a atterri sur ma PAl cette semaine…
Je le lirais très prochainement même s’il ne passe pas en LC. D’où l’achat.
Par contre, je n’ai que survolé ta chronique, je veux garder de la surprise en le lisant. Quand je lis ton résumé:
[…]nous conte l’histoire d’Onyesonwu, une jeune fille “ewu”, c’est à dire une enfant d’un viol. Sa mère, de l’ethnie okeke, a en effet été victime d’un viol, le viol utilisé comme arme de guerre […],
dit comme ça il y a rien de science-fictif dans tout ce contexte et j’ai hâte de le lire pour voir ce que ça donne !! Récit Fantasy dans un contexte Futuriste post-apo et tout ce que tu décris existe malheureusement déjà dans l’Afrique contemporaine et pas que l’Afrique … Le viol comme arme de guerre ne date pas d’aujourd’hui malheureusement et reste encore très employé … ce coté Mystique et prophétique existe toujours également dans certaines ethnies …
Je souligne ce passage par pour contester quoi que ce soit, c’est justement ce qui interpelle dans le roman et ta chronique.
Il est vraiment très genré science-fiction ou aurait pu paraître en littérature générale ?
J’indique bien dans ma chronique, je cite : « Ainsi, son Afrique futuriste est bel et bien l’Afrique actuelle, confrontée à des problèmes actuels. ». Mais je comprends que tu ne l’aies pas lue, je fais pareil pour les romans que je souhaite lire. 😉
En effet le viol comme arme de guerre ne date pas d’hier, et pas qu’en Afrique. Thomas Day en avait aussi fait une nouvelle très forte, « Nous sommes les violeurs ».
Le côté mystique et prophétique ne vient en effet pas de nulle part non plus, l’auteur ayant puisé dans ses origines nigérianes (elle est issue de l’ethnie Igbo), d’où le tag du challenge de Lhisbei.
Pour l’aspect SF, c’est vraiment très ténu, juste pour le contexte avec lequel on comprend que le roman se situe dans une Afrique futuriste après un grand bouleversement. Il y a également quelques petits « gadgets » rappelant un futur plus ou moins proche. Mais cela reste très léger, et au final le roman penche beaucoup plus du côté fantasy africaine. La littérature générale aurait aussi bien pu l’accueillir.
Pour le moins intriguant. Ca donne vachement envie. Faudra que je m’y penche, mais là, je navigue entre les cartons de déménagement et des cours par correspondance. Bref, je me le note mais j’ai toujours de bonnes raisons de ne pas lire. ^^
Je ne peux que t’en conseiller la lecture, ne serait-ce que par son originalité et ses thèmes forts.
Quelle originalité ! L’auteur a fait fort. C’est génial de se dire que l’Afrique est une source d’inspiration pour la littérature de l’imaginaire, le genre n’en est que plus riche !
Tout à fait, ça rend le récit original, et surtout on sent qu’il y a du vrai dans ce roman, que l’auteur n’a pas sorti ses multiples références de nulle part. Ça donne du corps à l’ensemble, et de la crédibilité.
Je l’ai acheté, enfin. Il sera lu d’ici la fin du mois d’avril, ou avant selon qu’il est choisi ou non comme lecture dur le cercle.
Cool ! Pour la LC ce sera sans moi du coup, mais je souhaite qu’il passe pour que le Cercle tente l’expérience ! 😉
[…] : Même pas mort de Jean-Philippe Jaworski, La magnificence des oiseaux de Barry Hughart, Qui a peur de la mort ? de Nnedi Okorafor, Les pantins cosmiques de Philip K. […]