Gueule de Truie, de Justine Niogret
Justine Niogret fait partie de ces rares auteurs pour lesquels je pourrais acheter les ouvrages les yeux fermés. J’avais en effet été tellement sous le charme de ses deux premiers romans, « Chien du heaume » et « Mordre le bouclier », portés par une écriture magistrale, et mettant en place des ambiances glaciales mais somptueuses, que je ne pouvais que me précipiter sur son nouvel ouvrage paru aux éditions Critic. J’en ai d’ailleurs profité pour le dédicacer quelques jours après sa sortie à la librairie du même nom à Rennes.
Quatrième de couverture :
L’Apocalypse a eu lieu.
Pour les Pères de l’Église, elle a été causée par Dieu lui-même. Comme la Terre est morte, ils n’ont plus qu’un seul but : détruire le peu qui reste, afin de tourner une bonne fois pour toutes la page de l’humanité.
À leur service, Gueule de Truie, inquisiteur. Dès le plus jeune âge, on lui a enseigné toutes les façons de prendre la vie. Caché derrière le masque qui lui vaut son nom, il trouve les poches de résistance et les extermine les unes après les autres.
Un jour, pourtant, il croise la route d’une fille qui porte une boîte étrange, pleine de… pleine de quoi, d’abord ? Et pourquoi parle-t-elle si peu ? Où va-t-elle, et pourquoi prend-elle le risque de parcourir ce monde ravagé ? En lui faisant subir la question, Gueule de Truie finit par se demander si elle n’est pas liée à son propre destin, et si son rôle à lui, sa véritable mission, n’est pas de l’aider à atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé, et peut-être même d’apprendre à vivre.
Tout est bon dans le cochon ?
Après son diptyque médiéval, changement d’ambiance avec ce roman. On est ici dans le post-apocalyptique le plus pur : le « Flache » a pour ainsi dire détruit la Terre, et l’humanité n’est plus constitué que de quelques poches de survivants. Parmi ceux-ci, les inquisiteurs (dont fait partie Gueule de Truie) chargés par les Pères de l’Eglise persuadés que la fin du monde est l’oeuvre de Dieu lui-même, d’en finir avec les derniers survivants. Ah c’est sûr, ça ne respire pas la joie et l’allégresse… Et le reste du roman est à l’avenant : tout est sombre, déprimé, sauvage, violent. Voilà c’est dit : on n’est pas là pour rigoler.
Et une fois encore, l’écriture de Justine Niogret fait des miracles. Dans un style à la fois proche et éloigné de « Chien du heaume », proche car toujours poétique dans sa capacité à installer des ambiances pesantes et sombres, et éloigné car beaucoup plus aride et rêche que le style beaucoup plus riche de son premier roman, c’est en effet cette écriture qui porte le roman. On est à travers elle plongé dans le tête de Gueule de Truie, dont les certitudes vacillent lors de sa rencontre avec une fille (dont le nom nous restera inconnu). « Gueule de Truie » est un roman très introspectif, c’est du Justine Niogret pur jus à ce niveau là. Les questionnements sont nombreux : la foi, l’identité, le but d’une vie, l’amour. Les dialogues sont peu nombreux, faits de phrases courtes, montrant bien que la culture au sens large n’est plus qu’un lointain souvenir.
Et l’histoire dans tout ça ? Hé bien, à l’instar de ses deux romans précédents, l’auteur la fait passer au second plan. L’histoire du roman, c’est tout le cheminement de pensée de Gueule de Truie, ce sont ses doutes, ses interrogations, ses espoirs, ses désillusions. Mais là où cela avait parfaitement fonctionné avec « Chien du heaume » et « Mordre le bouclier », je reste un peu plus mesuré ici. Sans doute une question de feeling, j’ai plus été happé par l’univers médiéval glacial des deux romans pré-cités que par ce désert post-apo déprimant. Il faut dire aussi que Gueule de Truie n’est pas vraiment des plus sympathiques… Élevé pour tuer, il ne connait que la violence, et ses accès de colère sont redoutables, y compris avec la fille qui le suit (à moins que ce ne soit lui qui la suive…). Là encore Justine Niogret a parfaitement rendu cela sur papier : on a parfois la gorge serrée par tant de violence physique comme psychologique.
Enfin, la symbolique du roman n’est pas en reste. L’auteur donne en effet un sens mystique au cheminement de Gueule de Truie, à travers l’apparition d’un homme à tête de cerf albinos (le cerf blanc, symbole d’un guide envoyé par Dieu lui-même), ou bien à la vision d’un géant nommé Surtr (reprenant le géant nordique Surt, qui par son feu dévastateur incendiera le monde lors du Ragnarok). Cela rappellera bien des souvenirs à ceux qui ont aimé la Salamandre des récits précédents de l’auteur…
Alors au final, j’avoue être resté un peu sur ma faim. Rien à dire côté écriture, on reste dans les hautes sphères. En revanche, côté récit, j’avoue que j’en attendais un peu plus. Ceci dit, j’ai malgré tout été porté par le style de Justine Niogret, qui est parvenue à m’emmener au bout d’un voyage éprouvant, dur, mais finalement gratifiant.
Intéressante chronique, parfaitement juste. En effet, l’intrigue est totalement au second plan, voire même encore plus loin !
C’est le moins que l’on puisse dire ! Ça semble être une constante chez Justine Niogret. Et ça ne plaira sans doute pas à tout le monde.
J’avais également beaucoup aimé « chien du heaume » et « mordre le bouclier », notamment pour la qualité de l’écriture et ce monde médiéval à la fois violent et onirique.
Malgré les réserves émises, cette chronique me donne fort envie de voir de quoi « gueule de truie » a l’air, ne serait-ce que pour découvrir cet univers post-apo.
J’espère que cette lecture fera partie des meilleures ! J’ai certes quelques réserves sur ce roman, mais ça ne me fera pas changer d’avis sur l’auteur : elle fait partie des excellents auteurs du genre imaginaire francophone !
J’ai failli le prendre il y a quelques jours, j’ai du me faire violence pour le reposer! en cause : j’attends déjà une commande, je le prendrais dans les semaines à venir… Avec Mordre le Bouclier en prime!
On verra si j’accroche plus à l’univers post-apo, en général j’ai pas trop de soucis avec ça bien au contraire! 🙂
L’univers post-apo du roman reste un contexte très général : il est très peu décrit, on n’a quasiment aucune information sur le pourquoi du comment du « Flache », etc…
En fait, en y repensant, le contexte comme l’histoire ne sont pas le plus important. À la limite, on pourrait même transférer le tout dans un autre univers sans trop y perdre au change (sur une autre planète désertique, dans un univers fantasy ravagé par la guerre, etc…).
Mais de toutes façons, il faut acheter du Justiiiiiine ! ^^
Ciel tu m’as pris de vitesse, cela fait quelques jours déjà que j’ai achevé ce roman et programmé son billet sauf que je n’ai pas encore réussi à m’y mettre … je suis restée très dubitative sur cette lecture et j’ai encore du mal à démêler tout cela. Comme toi je suis un peu mitigée même si pareillement j’ai été séduite encore une fois par la force et la puissance de l’écriture, certes un peu différente de celle utilisée dans les 2 précédents romans, car plus courte, plus directe mais qui fait toujours frapper aussi terriblement.
Bon faut que je me mettre à mon billet moi !
Oui, ce n’est pas avec ce roman que Justine Niogret mettra tout le monde d’accord !
Mais l’écriture reste superbe, et les amateurs d’introspection seront servis !
Bon courage pour ton billet !^^
Et il est enfin fait :p
Je viens de le finir et je te rejoins dans ton article, un roman où l’intrigue passe au second plan pour quelque chose de plus personnel et poignant. Par contre je ne suis pas vraiment resté sur ma faim mais par certains moment je me sentais un peu en décalage. Au finale j’ai passé un bon moment avec ce livre.
Si tu as passé un bon moment, c’est bien là l’essentiel ! Content que ce roman t’ait plu ! 😉
Plus je lis les avis sur ce livre, et moins il me donne envie ! Pourtant, j’avais beaucoup aimé Chien du Heaume. Mais là, ça me tente pas du tout.
J’avais bien aimé Chien du Heaume moi aussi… L’introspection pourrait me plaire, mais apparemment la manière dont c’est présenté, cette écriture risque peut-être de ne pas me plaire assez.
Au fil des critiques lues ici ou là, on s’aperçoit vite que le roman est beaucoup moins fédérateur que « Chien du heaume ». Il n’est pas facile de conseiller ce roman, quand même assez particulier… C’est vraiment une histoire de goût !
C’est ce que j’avais cru comprendre et voulais exprimer, mais évidemment, tu le dis bien mieux que moi 🙂
Pas aimé le mysticisme qui apparaît à partir du cerf blanc. Par contre j’ai beaucoup aimé le début. Du coup … grande déception.
J’ai vu ça oui… Dommage, mais c’est compréhensible.
Je me demande vraiment si je dois lire ce roman…
D’un côté, je suis une grande fan de post-apo.
De l’autre (révélation que je ne fais souvent que discrètement)… j’ai détesté Chien du Heaume. Je reconnais beaucoup de qualités à ce roman, il n’a pas volé les prix qu’il a eu, mais… mais, non, je n’ai pas adhéré, même en allant jusqu’au bout, justement à cause de la trop grande sécheresse des personnages et de l’univers. Sur fond médiéval, ça bloquait pour moi.
D’un autre côté encore, je suis une inconditionnelle des univers sombres de Di Rollo, et ta critique, comme d’autres lues ailleurs, m’y fait furieusement penser.
Dilemme…
Ce n’est malheureusement pas qui te sauvera de ce dilemme… Le point commun entre « Chien du heaume » et « Gueule de Truie » c’est la qualité d’écriture, mais le style a changé, c’est ici beaucoup plus sec.
Pour les reste, l’univers a changé, les personnages sont différents (même si au fond, seul Gueule de truie a de l’importance)…
Beaucoup d’introspection, pas ou peu d’histoire, et un fin qui vire au mystique (la Salamandre de Chien du heaume, puissance 1000). À toi de faire ton choix ! 😉
Peut-être faut-il viser un emprunt plutôt qu’un achat ?
Je crois que ça finira comme ça. Il y a bien assez de lecteurs de SF autour de moi pour que quelqu’un se décide à l’acheter… 🙂