Le fleuve des dieux, de Ian McDonald
Après la lecture ébouriffante de « Desolation Road » et avant la sortie prochaine du nouvel ouvrage de Ian McDonald, « La maison des derviches », je souhaitais me plonger dans ce roman fleuve (ha ha !), lauréat de nombreux prix (British science fiction 2004, finaliste du prix Hugo 2005, et en France lauréat du prix Bob Morane 2011 et du Grand Prix de l’Imaginaire 2011), et décrit par la quatrième de couverture comme étant le roman de SF le plus important de ces quinze dernières années, pas moins !
Quatrième de couverture :
Tous les Hindous vous le diront, pour se débarrasser de ses péchés, il suffit de se laver dans les eaux du Gangâ, dans la cité de Vârânacî.
Et, en cette année 2047, les péchés ce n’est pas ce qui manque : un corps aux ovaires prélevés glisse doucement sur les eaux du fleuve ; des intelligences artificielles se rebellent et causent de tels dégâts qu’une unité de police a été spécialement créée pour les excommunier.
Gangâ, le fleuve des dieux, dont les eaux n’ont jamais été aussi basses, se rue vers un gouffre conceptuel, technologique, évolutionnaire – ou peut-être tout cela à la fois.
A travers le kaléidoscope de neuf destins interconnectés, Ian McDonald dresse le portrait d’une Inde future, mais aussi d’une Terre future, où tout n’est que vertige. Souvent considéré outre-Atlantique et outre-Manche comme le roman de science-fiction le plus important des quinze dernières années, « Le Fleuve des dieux » a reçu le British Science Fiction Award et a été finaliste du prestigieux prix Hugo.
Un long fleuve pas si tranquille
J’ai pris le temps avant de me plonger dans cet épais roman de 600 pages bien tassées (dédicacé au festival « Etonnants Voyageurs 2011 » de Saint Malo) ! Je savais par avance que c’était un livre exigeant à ne lire qu’une fois bien décidé. Et en effet, les débuts se sont révélés un peu difficiles : le roman est dense, touffu, foisonnant, complexe, l’intrigue démarre très doucement et l’écriture de Ian McDonald est très précise, très fouillée, détaillée, presque chirurgicale, rendant la lecture parfois ardue. Nul doute que ce livre laissera un certain nombre de lecteurs au bord de la route, mais disons le tout net : il récompensera au centuple ceux qui persévéreront.
Car avec un brin d’acharnement, c’est une véritable immersion, pleine de dépaysement dans une Inde futuriste que nous propose l’auteur. Il s’est visiblement beaucoup documenté sur ce pays, ponctuant son texte de nombreux termes indiens (dont un bon nombre ne sont d’ailleurs pas présents dans le glossaire de fin de volume…). Cela peut sembler superflu, le fait de jongler entre le récit et le glossaire hachant la lecture, et cette profusion de détails sur le contexte du roman ayant tendance à ralentir l’intrigue. Mais on s’aperçoit que malgré certains obstacles (nombreuses expressions indiennes, culture inconnue, etc…) cela renforce le contexte global, donnant une réelle consistance au récit. On y trouve neuf personnages principaux : Nanda le flic « krishna » chargé de détruire les IA « rebelles », sa femme Pârvati en mal d’amour, Shiv une petite frappe qui fait dans le trafic d’organes, Shahîn Badhûr Khan le conseiller musulman de la première ministre du Bhârat (morceau indépendant d’une Inde morcelée), Nadja une journaliste en quête de scoop, Tal un « neutre » ni homme ni femme, Vishram héritier du service R&D de l’entreprise de son père et Lisa Durnau et Thomas Lull, deux scientifiques.
L’histoire démarre lentement, très lentement. L’auteur prend le temps de développer l’intrigue de chacun des personnages, des histoires qui semblent indépendantes mais qui finiront forcément par se croiser et se rejoindre. A vrai dire, il faut même attendre la page 300 pour voir le récit s’emballer un peu, mais le final explosif vaut vraiment le détour, ouvrant des perspectives science-fictionnesques assez vertigineuses.
Les thématiques abordées sont nombreuses, contenant bon nombre de sujets « classiques » de la SF : espace, IA, univers parallèles, cyberpunk, divinités, début de post-humanisme, le tout accompagné dans son aspect « speculative-fiction » de réflexions géopolitiques, sociologiques, technologiques. Et il faut bien avouer que ce qui aurait pu ressembler à un vaste mélange brouillon et indigeste se révèle au final comme un jalon dans la littérature de science-fiction. Car ce melting pot fonctionne à merveille ! L’Inde présentée par McDonald est criante de réalisme (même si j’avoue ne pas connaître ce pays, je ne suis donc pas le mieux placé pour juger de cela), le déroulement de l’intrigue est superbement mené, hormis le ronronnement inévitable du début, conséquence de la longue exposition des nombreux personnages, personnages qui s’en trouvent par ailleurs et c’est tant mieux particulièrement travaillés, et tous les sujets abordés de près ou de loin par l’écrivain sont parfaitement ajustés. L’imagination de l’auteur est une fois de plus (après le très barré « Desolation Road ») débridée : le récit foisonne d’idées ou de concepts remarquables.
Je n’aborderai pas plus en détail l’intrigue du roman, car en dévoiler la teneur serait déflorer totalement le récit. En effet elle ne se révèle qu’avec parcimonie, dans un puzzle dont les pièces sont constituées par les personnages eux-mêmes, pour former un vaste panorama d’un futur hypothétique.
Ian McDonald a écrit là un roman important, difficile de dire le contraire. Roman le plus important des quinze dernières années ? Je ne saurais le dire, en revanche je peux affirmer que Ian McDonald est devenu un élément incontournable de la SF actuelle. Un roman qu’il faut avoir lu, à mon avis. Il n’est certes pas exempt de défauts, notamment son début difficile à appréhender, sa longueur peut-être, encore que je ne saurais reprocher à l’auteur d’avoir voulu entrer dans le détail, tant ce choix d’écriture est un choix jusqu’au boutiste mais compréhensible au regard de ce qu’il a voulu présenter à son lectorat. « Le fleuve des dieux » est un roman démesuré, d’une incroyable ampleur, extrêmement ambitieux mais largement à la hauteur de ses ambitions. Époustouflant. Ou en d’autres termes : une bonne grosse baffe.
Lire aussi chez Viinz, Blackwolf, Khatovar, Laurent Kloetzer, Nick, Psychovision, Gromovar.
Impressionnant, mais moins que La fille automate.
Tiens, tu me fais penser, je voulais écrire un petit mot sur le parallèle possible avec « Une fille automate », j’ai oublié, tant pis…
C’est vrai qu’on peut tout à fait faire un rapprochement entre ces deux bouquins, de par leur aspect spéculative-fiction, qui plus est dans des pays « en développement », et géographiquement assez proches.
Et même si j’ai beaucoup aimé « La fille automate », je trouve que l’ambition thématique du « Fleuve des dieux » lui reste supérieure. Ceci dit, « La fille automate » reste un roman plus concentré sur son thème principal, qui en fait son genre (biopunk), rendant la lecture plus aisée, alors que dans « Le fleuve des dieux », McDonald peut donner l’impression d’avoir voulu toucher à tout ce qui fait la SF (espace, IA, etc… Tout y passe !).
Question de feeling ! 😉
D’ac ord avec toi. Plus d’ampleur chez McDonald, mais un roman plus efficace chez Bacigalupi.
Et les deux fondent un sous-genre.
Chouette chronique, voilà un bouquin qu’il me faudra lire aussi.
Merci ! 😉
Oui, c’est un livre important je pense, il faut que tu le lises.
J’avais essayé il y a quelques mois mais j’ai abandonné au bout d’une centaine de pages. Je ne m’avoue pas vaincue, je réessaierai plus tard de le lire et je prendrai mon temps car, comme beaucoup de Lunes d’Encre, c’est trop exigeant pour en lire un morceau par-ci par-là 😉
C’est un roman plutôt exigeant c’est sûr. Mais franchement vu le fond comme la forme, ce serait dommage de passer à côté du fait d’une lecture faite au mauvais moment…
Ca fait envie…
(mais j’ai toujours pas vidé mon carton de PàL :D)
Si tu lis ce roman, vu sa taille, ça fait descendre la PAL d’un coup !^^
Dans la PAL depuis sa parution mais sa taille m’a fait reculer. Je m’y mettrai début 2013.
Je comprends, j’ai moi aussi longtemps repoussé ma lecture. La découverte n’en est que meilleure !
Alléchant … Je n’ai jamais lu l’auteur, est-ce raisonnable de commencer par celui-là ?
@ Tiger Lilly
Je déconseille Le Fleuve des dieux pour découvrir l’auteur.
Mon avis ; l’antho Faux Rêveur chez Bragelonne pour lire « L’histoire de Tendéleo » (récit d’une invasion extraterrestre du point de vue kenyan). C’est sans doute le meilleur texte de Ian. L’antho est à 10 euros et il y a plein de trucs bons dedans.
Le Bifrost spécial Ian McDonald avec le court roman « La Petite déesse » qui se situe dans le même univers que Le Fleuve des dieux.
La Maison des derviches, dans le même genre (mais en Turquie), est à mon avis beaucoup plus abordable.
Après c’est un auteur qui se mérite.
Si tu le trouves pas cher d’occaz, son recueil : Etats de rêve est aussi une très bonne porte d’entrée.
Bon, je crois que Gilles à tout dit (merci beaucoup d’être passé par ici ! ^^).
Effectivement, ce n’est sans doute pas le point d’entrée le plus facile. Ceci dit, ce n’est que mon deuxième roman de l’auteur, le premier n’étant pas non plus des plus simples a appréhender (Desolation Road, chroniqué ici : https://www.lorhkan.com/2012/02/17/desolation-road-de-ian-mcdonald/ ). C’est vrai que c’est un auteur qui se mérite, c’est tout à fait ça !
Aux récits proposés par Gilles, il ne faut sans doute pas oublier « Roi du matin, reine du jour » (Lunes d’encre ou FolioSF tout récemment).
Reste ensuite « Brasyl » et « Nécroville », mais je suis un peu plus hésitant sur ces deux là… Je demanderais bien à Gilles sur avis sur ces romans…
En tout cas, « Le fleuve des dieux » m’a fait une telle impression que je ne vais pas tarder à passer une commande pour tout ce qui vient d’être dit, et tenter d’avoir une plus ou moins intégrales des écrits francophones du monsieur… 🙂
Le problème de Brasyl c’est la traduction française ; le livre est pas très réussi à mon avis, dur à lire, complexe pour pas grand chose une fois qu’on a le fin mot de l’histoire, mais la traduction française complique encore plus ce quen VO le portugais mêlé à l’anglais ne rendait pas simple. Ian, est allé trop loin dans le procédé de remix des langues sur ce livre à mon avis. Et d’ailleurs sur La Maison des derviches il s’est grandement retenu et trouve un équilibre.
Necroville est raté ; il a récupéré l’idée pour écrire une très bonne novella : http://noosfere.org/icarus/livres/EditionsLivre.asp?numitemsommaire=70452
Idée qu’on retrouvait aussi, un peu déformée, dans sa nouvelle « L’Île des morts », in Etats de rêve.
Super, merci Gilles !
Pour le reste, direction le Bifrost 68 ! 😀
En toute sincérité, si j’ai laissé tomber ce roman, c’est que non seulement je n’ai pas accroché à l’ambiance « utilisons les bons mots indiens » (qui m’a vite saoulée), mais que j’ai trouvé certaines situations beaucoup trop clichés pour moi (la première à me revenir en tête: l’inconnu de l’avion et tout ce qui s’ensuit). Par rapport à « Desolation Road », je n’ai pas trouvé l’entrée en matière si difficile que ça en fait.
C’est vrai que l’abondance de mots indiens peut dérouter, surtout au début où se tourner vers le glossaire 10 fois par page pour parfois (souvent ?) ne pas trouver le mot recherché…
En revanche, pour le comportement des persos, ça ne m’a pas gêné plus que ça, mais j’ai tendance à me laisser emporter par le récit, et oublier la cohérence des réactions.
En tout cas, rien de tout cela n’égratignera l’excellence de ce roman pour moi !^^
Je dois avouer ne jamais consulter les glossaires en fin de livre. C’est certainement stupide, mais si je ne peux pas comprendre grâce au contexte, c’est qu’il y a un problème à la base pour moi (ou alors, c’est juste que je suis trop paresseuse)(aussi).
J’ai lu et chroniqué et pas convaincu par la façon dont ça se résout – avec même des fils narratifs qui ne semblent servir à rien. Mais la lecture est fascinante – j’avais loupé le glossaire indien mais ça ne m’a pas gêné plus que ça. Une tite remarque sur la couv de Manchu, bizarrement un peu à côté du récit.
La couverture n’est pas des plus réussie, je suis d’accord.
Pour les différents fils narratifs, je vois bien ce que tu veux dire (du moins je le crois, par exemple le fil de Pârvati qui est un peu détaché du reste), mais pour moi le roman ne décrit pas une histoire, mais un futur possible, avec des personnages issus de milieux différents,qui mènent chacun leur vie, tant bien que mal.
Plus qu’une seule intrigue (même si elle est importante et très présente dans la seconde partie du roman), ce sont des chroniques d’un éventuel futur que nous propose McDonald. A ce titre, voir différents fils narratifs, même éloignés les uns des autres, ne me gêne pas.
Ce n’est pas la multiplicité des fils qui me posent problème mais plutôt des résolutions quelque fois bancales. Mais ça dépend peut-être de ce qu’on attend du bouquin pendant la lecture.
Absolument, c’est sans doute essentiellement une question de ressenti.
Merci pour ce commentaire fouillé mais ne déflorant pas l’histoire. Je me suis permis de le citer sur WikiFiction à l’occasion de la parution de la version poche : http://wikifiction.eu/index.php/Le_fleuve_des_dieux
Merci pour la citation !
J’essaie toujours de ne pas en dévoiler trop sur l’intrigue, c’est mieux pour tout le monde. 😉
Je l’ai commencé ce week end, après une petite centaine de pages, je peine, c’est complexe, dur, intrigant et attirant… Plus que 500 pages mais vu ma cadence de lecture, je devrais finir pour Juin ou Juillet prochain. lol
C’est un roman qui se mérite. Si tu finis par accrocher vraiment, tu seras mille fois récompensé… 😉
C’est clairement un roman qui se mérite. Mais je suis conquis par l’ampleur du livre, c’est impressionnant d’écrire un tel roman. Je vais lire La petite déesse et faire une pause avec cet auteur. Mais je note les suggestions de Gilles Dumay.
En effet, ça demande un effort de la part du lecteur. Mais quelle récompense au final ! Content de voir que tu as apprécié. « La petite déesse » prolonge le plaisir, tu vas aimer (et pour le coup, c’est plus simple à lire). 😉
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