Tau Zéro, de Poul Anderson

Posted on 25 juin 2012

Quarante deux ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour voir arriver ce roman en France, alors qu’il est depuis bien longtemps considéré comme un chef d’oeuvre dans les pays anglophones. Mieux vaut tard que jamais, voilà un précepte qui s’applique particulièrement bien à « Tau Zéro » tant il aurait été dommage de ne pas avoir accès à sa lecture…

 

Quatrième de couverture :

Terre. XXIIIe siècle. Ils sont cinquante. Vingt-cinq femmes, vingt-cinq hommes. Parmi les meilleurs dans leurs domaines : astrophysiciens, mathématiciens, biologistes, astronavigateurs… Leur mission est la plus sidérante qui soit : rejoindre l’étoile Beta Virginis en quête d’une nouvelle Terre. Ils disposent pour ce faire du plus stupéfiant des vaisseaux, le Leonora Christina, dernier né de sa génération, un navire capable de puiser son énergie au cœur même de l’espace et d’évoluer à des vitesses relativistes…

Un voyage de trente-deux années-lumière. Un voyage sans retour. Et tous le savent. Tel est le prix que sont prêts à payer ces pionniers d’une aire nouvelle…

 

Voyage au bout de l’univers

Je l’ai déjà dit, je ne suis pas un grand fan de la hard-SF, ayant eu de mauvaises expériences avec ce genre, notamment dû au fait que les idées scientifiques, parfois bien trop obscures pour le lecteur lambda, ont tendance à trop prendre l’ascendant sur l’intrigue et les personnages. Pourtant, il y a des exceptions… Et « Tau Zéro », le nouveau-roman-d’il-y-a 42-ans du défunt Poul Anderson en fait incontestablement partie. C’est même un coup de cœur ! Je vais finir par regarder la hard-SF d’un autre œil, car quand de vertigineuses hypothèses scientifiques (surtout quand on y parle cosmologie et relativité) sont associées à une intrigue solide et des personnages consistants, comment résister ?

Le roman s’appuie sur un principe relativement simple : plus on s’approche de la vitesse de la lumière, plus le temps s’écoule lentement par rapport à un observateur statique. Ainsi, lancés à 0.9 x c (c étant la vitesse de la lumière), le temps s’écoulera 2.3 fois plus lentement pour le voyageur que pour l’observateur qui ne se déplace pas, et cet écart augmente en se rapprochant toujours plus de la vitesse de la lumière. Ainsi, Poul Anderson n’utilise pas d’astuces du genre trous de ver ou hyperespace pour les voyages interstellaires, il se base uniquement sur cette résultante de la relativité qui fait qu’un voyage qui aura duré plusieurs dizaines d’années pour les Terriens, aura pour les voyageurs duré moins de dix ans. Exit donc les vaisseaux intergénérationnels, qui exigent un bien délicat voyage en vase clos durant des centaines d’années. D’autant qu’ici, toutes les théories scientifiques sont plausibles, ont été réellement développées par des scientifiques et sont exposées de manière très didactique et très juste (à quelques exceptions près, expliquées dans la postface) par le romancier, tel le moteur Bussard, chargé de propulser le vaisseau en se nourrissant des atomes d’hydrogène disséminés dans l’espace, permettant de s’affranchir de carburant lourd et encombrant.

Poul Anderson n’en oublie pas pour autant l’aspect humain. La mission de l’équipage du vaisseau Leonora Christina est simple : trouver une planète habitable dans le secteur de l’étoile Beta Virginis. Et si cette planète existe, s’y installer, fonder une colonie. Et par conséquence, ne jamais revoir la Terre. C’est donc un double adieu : car même si cette planète n’existe pas et que le retour su Terre soit nécessaire, la durée du voyage aller-retour aura duré pour leurs familles et amis plusieurs dizaines d’années… Dans tous les cas, ils ne reverront donc jamais le monde tel qu’ils l’ont connu… Les problèmes relationnels sont également abordés : 25 hommes et 25 femmes chargés de fonder une nouvelle colonie, cela fait un patrimoine génétique plus que restreint. Les couples ne peuvent donc être définitifs, pour le bien de tout le monde. J’ai tout de même trouvé cet aspect assez typique de la fin des années 60/début des années 70, s’éxonérant parfois un peu trop rapidement des sentiments profonds. Mais c’est sans doute mon aspect fleur bleue… 😉

Et bien sûr, pour faire de ce livre un roman, et pas seulement un essai sur la faisabilité des voyages interstellaires, tout ne se passera pas comme prévu, et le Leonora Christina va devoir changer de plan de vol. S’en suit alors une fuite en avant vertigineuse, incroyablement stimulante intellectuellement, qui va mener l’équipage bien plus loin (dans tous les sens du terme) que ce qu’il aurait pu imaginer…

S’adressant sans doute à une frange assez restreinte de lecteurs, on ne peut qu’espérer que ce roman touche sa cible potentielle et même plus encore. Car si, comme le dit la quatrième de couverture, David Pringle (un éditeur britannique) le cite parmi les 100 plus importants livres de SF, ce n’est pas par hasard. Et il serait bien dommage que la France, grâce aux editions du Bélial qui ont fait ici un travail éditorial remarquable (superbe couverture de Manchu, traduction impeccable et préface de Jean-Daniel Brèque et postface particulièrement éclairante du passionnant scientifique vulgarisateur Roland Lehoucq) , ne l’estime pas à sa juste valeur. Superbe, de bout en bout !

Lire d’autres chroniques sur Yozone, Traqueur Stellaire, Wagoo, Efelle, Gromovar.

 

Chronique écrite dans le cadre du challenge « Summer Star Wars, épisode VI » de Lhisbei.

  
FacebooktwitterpinterestmailFacebooktwitterpinterestmail