Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski
Après l’excellent Janua Vera, on reprend une lichette de Jaworski. Enfin, une grosse lichette de 700 pages quand même, qui met en scène Benvenuto Gesufal, le héros de la nouvelle « Mauvaise Donne » dans « Janua Vera ». Et c’est toujours aussi bon.
Quatrième de couverture :
Au bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout à l’autre de l’horizon, je me suis dit : « Benvenuto, mon fagot, t’as encore tiré tes os d’un rude merdier. » Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me gourais sévère. Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon…
De la fantasy de très haut niveau !
« Je n’ai jamais aimé la mer.
Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n’ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c’est plus gras, c’est plus trouble et plus limoneux que le pot d’aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c’est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l’ivresse.
Je n’ai jamais aimé la mer, et ce n’était pas près de s’arranger. »
Voilà comment commence ce roman de Jean Philippe Jaworski, déjà auteur du très reconnu recueil de nouvelles Janua Vera, nouvelles se déroulant également dans ce Vieux Royaume que l’on retrouve dans ce premier roman. Et cette introduction nous montre déjà deux choses : la plume de Jaworski est extrêmement travaillée, ciselée à la perfection, et son héros, cette crapule d’assassinat qu’est don Benvenuto Gesufal va en voir de toutes les couleurs, et nous avec ! Et avec quel plaisir !
On tremblera avec lui, on vibrera avec lui, on aura (vraiment très) mal avec lui (et vous comprendrez une nouvelle fois la richesse de l’écriture de l’auteur, croyez moi !), on verra du pays avec lui, on se fera avoir avec lui, on filoutera avec lui, on combattra à ses côtés, on mentira avec lui, etc…
Et ce n’est pas le moindre des exploits de l’auteur que d’avoir réussi à rendre son héros (une mauvaise fréquentation comme il le dit lui même) sympathique ! Tour à tour cynique, drôle, pleutre, fier, arrogant, on s’attache rapidement à lui, avant d’être propulsé dans un maelström d’événements qui le dépasse totalement…
Le cadre du roman est également une vraie réussite, notamment à travers l’évocation de Ciudalia, la ville dans laquelle se situe une bonne partie de l’intrigue, sorte de Rome imaginaire, une cité tentaculaire qui devient un personnage de l’histoire à part entière.
On sent que l’auteur s’est vraiment documenté à fond pour que tout soit crédible, jusque dans une superbe scène où deux assassins s’expriment dans un argot totalement déroutant et pourtant parfaitement compréhensible. Renversant !
Intrigues politiques, combats, jeux de dupes, complots, machinations sont les ingrédients de ce roman absolument jouissif qu’il est impossible de lâcher avant la fin, et qui montre à tous que la fantasy va bien au-delà des poncifs auxquels on la cantonne trop souvent… Magistral, à l’image de la toute fin du roman, qui parvient en un seul mot à clôturer cette aventure palpitante de la manière la plus cynique qui soit. Jouissif je vous dis !
Chroniques à lire également chez Cédric Jeanneret, Efelle, Traqueur Stellaire, Gromovar, Arutha, Sandrine, Yozone.
Je confirme, jouissif, le mot est bien choisi.
😉
c’est la nouvelle qui m’avait le moins plu dans le recueil du coup je n’avais pas sauté le pas ; mais ça fait plusieurs très bonnes critiques que je vois à son sujet alors qui sait…
Alors attention, c’est du même acabit que la nouvelle « Mauvaise Donne », donc si tu n’as pas aimé cette dernière, méfiance…
Mais c’est plus détaillé, plus grandiose, plus tout quoi ! Bon après, ça ne peut pas marcher sur tout le monde…
Je partage pleinement ton point de vue. Je plussoie, comme on dit. J’ai lu ce roman il y a déjà presque deux ans, à une époque où je pouvais lire sans m’endormir au bout de trois chapitres, et j’en garde un souvenir tout simplement émerveillé.
Et mon Dieu, qu’est-ce que j’ai pu rigoler ! Ça m’a même donné envie de lire « Le Prince » de Machiavel dans le texte, ce que je n’ai toujours pas fait !
Et vivement que Jean-Philippe Jaworski nous replonge dans ce Vieux Royaume !
Mais avant cela, il écrit une trilogie dans un univers celtique de la fin de l’âge de fer. Parution en 2013,2014 et 2015… Ça fait loin pour le Vieux Royaume (hormis peut être quelques nouvelles de ci de là).
Mais rien que de retrouver la plume de l’auteur me réjouis !
C’est en cherchant des avis sur cet auteur que je suis tombé sur votre blog. Nouveau lecteur de Fantasy, je pense que je ne vais pas être déçu par Jaworski et son univers.
Disons que c’est un peu le must en matière de fantasy française, voire de fantasy tout court, rien que ça.
J’espère qu’il sera à la hauteur de vos attentes. 😉
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