Jack Barron et l’éternité, de Norman Spinrad

Posted on 25 août 2011

Au chapitre de mes lectures, voici un fameux « classique ». Jack Barron et l’éternité est en effet le roman le plus célèbre et d’après les critiques le chef d’œuvre de son auteur, Norman Spinrad. Écrit en 1969, il n’est donc plus tout jeune. Et pourtant…

 

Quatrième de couverture :

Jack Barron est une icône de la télévision, un redresseur de torts moderne pour cent millions de gogos accros à leur écran tous les mercredis soir. Pour l’irrésistible présentateur, malgré la corruption, la pauvreté et la ségrégation, c’est le business qui compte avant tout… jusqu’à ce qu’il heurte de front les intérêts du tout-puissant Benedict Howards. Commence alors le feuilleton en direct d’un combat sans merci entre le pouvoir de l’argent et de la politique, et celui des médias. Mais la lutte peut-elle être équitable lorsque l’immortalité elle-même fait pencher la balance ?

 

Médias, politique, corruption… Tout un programme !

Le personnage qui donne son titre au roman (Jack Barron, pour les deux du fond qui ne suivent pas) est un ancien militant, activiste politique qui est devenu une star de télévision grâce à l’émission de débat qu’il présente « Bug Jack Barron » (titre original du roman), dans lequel il prétend aider les gens dans le besoin, contre les « grands » de ce monde. Ce faisant, il a abandonné tous ses idéaux de jeunesse. Il a pris goût à l’argent, au pouvoir. Et il n’hésite pas à faire ce qu’il faut pour faire de l’audience, tout en ménageant ses « victimes », car elles aussi ont du pouvoir. Il ne s’agirait pas de perdre son poste parce qu’on les a un peu trop asticotées…

Hors, lors d’une émission, Jack donne la parole à un homme noir mécontent car la Fondation pour l’Immortalité Humaine, dirigée par Benedict Howards, ne semble pas donner autant de chance aux Noirs pour une cryogénisation dans l’attente de la découverte d’un traitement pour l’immortalité. Mais Benedict Howards n’est pas n’importe qui… Jack Barron vient de mettre le doigt dans l’engrenage…

Au premier abord, ce qui frappe, c’est le style de l’auteur. Haché, nerveux, avec ses morceaux de phrase sans verbe ni ponctuation, il en devient déroutant et demande un certain temps d’adaptation. Mais ce n’est que pour mieux décrire ce qui se passe dans la tête des protagonistes. Certains passages à la limite de la folie sont à ce titre superbement réussis.

Mais le cœur de l’œuvre, c’est bien sûr son sujet. Norman Spinrad est un auteur militant, et ça se sent. On est ici en plein dans la confrontation entre média et politique, on y parle de pouvoir (aussi bien politique que médiatique), corruption, manipulation des masses… Et Jack Barron se retrouve bien sûr au milieu de tout cela. Tiraillé entre ses anciens idéaux, son envie de faire la justice, et son désir de conserver sa place bien au chaud, Jack Barron est un personnage fascinant, pour lequel le style d’écriture de l’auteur dont je parlais au-dessus prend tout son sens : nous sommes dans sa tête, dans laquelle se bouscule des sentiments contradictoires, nous sommes tous des Jack Barron en puissance, nous avons tous été confrontés à des dilemmes remettant en cause notre façon de concevoir l’existence et bousculant notre petite vie bien installée… Incontestablement un des personnages les plus forts que j’ai pu rencontrer au cours de mes lectures SF.

On y parle aussi beaucoup de racisme. Oui, politique et racisme… Vous voyez où je veux en venir ? Non ? Dans le roman, les personnages (notamment un ambitieux politicien noir, ami de Jack Barron) indiquent pourtant clairement que le rôle de politicien pour un homme noir est limité. Quant à la Présidence des Etats-Unis, elle est hors d’atteinte… Et oui, heureusement, il est bon de voir que la société a changé depuis l’année de naissance du roman, Obama est passé par là… Ce parallèle entre réalité et fiction n’en reste pas moins fascinant. Mais le reste l’est tout autant, car force est de constater que ce roman n’a pas pris une ride. Changez les personnages, prenez des hommes influents de notre société, et vous obtenez une histoire qui aurait très bien pu être vraie : un homme influent, patron d’une énorme entreprise qui tente de corrompre des politiques pour faire passer des lois qui lui soient favorables, tout en usant des médias pour manipuler les masses, ça reste plus que crédible. Avouez que quarante ans après sa sortie, c’est une belle performance !

Alors certes, il y a peu d’action dans ce roman, cela reste essentiellement au niveau psychologique. C’est une guerre des nerfs, entre Barron et Howards, c’est à qui aura le dernier mot, qui vaincra l’autre pour obtenir ce qu’il souhaite. Et on arrive ainsi dans les meilleurs passages du roman : les confrontations directes au cours de l’émission de Jack. Véritables moments d’anthologie, durant lesquelles il démontre toute sa maîtrise de la machine médiatique, ainsi que la vivacité de son esprit lui permettant d’avoir le dessus sur ses adversaires, ces passages en deviennent purement jouissifs ! Jusqu’à la confrontation finale, que l’on devine titanesque ! Et ce sera justement mon seul bémol à ce sujet : Spinrad a réussi à faire monter la sauce au fil du roman, à tel point que j’étais excité comme une puce une fois arrivé à ce dernier chapitre. Je me suis d’ailleurs réservé un moment seul, uniquement pour profiter au maximum de ce passage. Et j’avoue avoir été un poil déçu. Je ne veux pas trop en dévoiler bien sûr, mais je dirais seulement que j’attendais un vrai duel de géants, ne cédant rien, se battant sur tous les fronts, et qu’au final, l’adversité s’est révélée décevante, dommage…

Mais cela ne pèse en rien sur la qualité globale du roman, qui reste tout à fait d’actualité, et qui nous sert des personnages savoureux, aux psychologies travaillées. Les réflexions sont très nombreuses, le roman est très dynamique. C’est un livre qui se doit d’être lu !

Lecture commune avec Cachou, Phooka, Vance, Endea et Cécile Desbrun.

Chronique réalisée dans le cadre du challenge « Les chefs d’œuvre de la SF » de Snow.

 

D’autres avis chez le Traqueur Stellaire, If is Dead, Efelle et GiZeus.

  
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