La Mer de la Tranquillité, de Emily St. John Mandel

Posted on 15 avril 2024
Retour aux romans. Avec ici l’un des plus attendus de la déjà ancienne rentrée littéraire 2023 : le dernier né de Emily St. John Mandel, l’une des autrices qui use largement de la SF tout en s’adressant, il faut bien l’avouer, à un lectorat très largement mainstream. J’avais beaucoup aimé « Station eleven », qui l’a fait connaître dans le monde entier, j’étais donc plutôt curieux de savoir où allait me mener « La Mer de la Tranquillité ». Sur la Lune sans doute, mais pas que…

 

Quatrième de couverture :

Quel est cet étrange phénomène qui semble se produire à diverses époques et toujours de la même façon? Dans les bois de Caiette, au nord de l’île de Vancouver, des gens entendent une berceuse jouée au violon, accompagnée d’un bruissement évoquant un engin volant qui décolle. L’expérience est intense mais brève, au point que l’on pourrait croire à une hallucination.

En 2401, sur une des colonies lunaires, l’institut du Temps veille à la cohésion temporelle de l’univers. Une brillante physicienne nommée Zoey s’interroge sur des anomalies qui la perturbent. Le monde tel qu’il existe ne serait-il qu’une simulation ? Malgré ses réticences, elle charge son frère d’enquêter et donc de remonter l’axe du temps. À ses risques et périls.

 

Le voyage dans le temps pour les nuls

Sous ce titre un brin provocateur mais qui ne vise pas à la péjoration se révèle en fait tout le roman : nous avons là un vrai roman de SF, qui n’utilise pas le genre que par la bande pour faire genre justement, mais qui s’y confronte très directement tout en l’adaptant à un public qui n’est pas nécessairement un grand lecteur de SF. Emily St. John Mandel a un nom dans le secteur de l’édition littéraire, son public est large et son objectif est de s’adresser à lui, pas à une micro-partie de lui. Peut-être faut-il se réjouir de cela, elle qui a la possibilité (et qui ne s’en prive pas) d’écrire pour le plus grand nombre un roman qui est résolument SF ? Une chose est sûre l’autrice aime la SF (sa venue au dernier festival des Utopiales le montre bien), ça se voir, ça se sent avec ce roman qui tourne autour d’une anomalie temporelle et de plusieurs intrigues disséminées dans le temps (un émigré britannique au Canada en 1912, une femme qui vient de perdre une amie en 2020, une écrivaine en tournée promotionnelle en 2203, et cette fameuse anomalie étudiée en 2401 sur la Lune).

Cela fait-il pour autant de « La Mer de la Tranquillité » un bon roman ? Hé bien tout dépend de quel public le lecteur fait partie. Le grand public, non connaisseur de SF, appréciera sans doute les personnages, joliment dépeints comme d’habitude avec l’autrice, les différentes intrigues qui s’emboîtent et se croisent, les qualités narratives certaines qui permettent à Emily St. John Mandel d’accrocher le lecteur avec une langue pourtant relativement simple et de ne plus le lâcher ensuite, et le jeu de piste temporel qui le balade d’époque en époque. L’amateur de SF (que je suis bien sûr) appréciera les mêmes éléments sans toutefois être guère surpris par l’exercice de style autour du voyage dans le temps qui, s’il est bien réalisé et tout à fait cohérent (autant qu’on puisse l’être sur un tel sujet) n’offre pas vraiment de surprise à tel point qu’on sent venir le pot aux roses à l’avance.

On notera tout de même, entre éléments plus ou moins biographiques ou familiaux propres à l’autrice (un ancêtre émigré au Canada, le personnage de l’autrice en tournée, alter-ego de Mandel elle-même pour lequel on constatera que les plus mauvaises expériences de sa tournée se font en France…), éléments directement tirés de l’actualité (une énième pandémie en 2203), et spéculation assez particulière sur la conquête spatiale (l’habitat lunaire ressemble à une classique banlieue américaine, avec des machines qui permettent d’obtenir une gravité égale à celle de la Terre, un artifice un brin magique qui fait perdre à la Lune sa spécificité et son aspect SF, on n’est à l’évidence pas chez Ian McDonald (la trilogie « Luna ») ou Kim Stanley Robinson (« Lune Rouge ») ici) que le roman ne manque pas d’éléments propres à éveiller l’intérêt du lecteur (ou pas, j’avoue que ce qu’a fait l’autrice de la Lune ne m’a pas vraiment convaincu).

Voilà le pourquoi du titre de cet article, qui résume tout : oui le roman est bien écrit, addictif en un sens, tout à fait bien mené et accrocheur, très largement SF et se permettant même, avec son hypothèse de simulation directement tirée de « Matrix », de tutoyer un brin le sense of wonder typiquement SF sans pour autant l’embrasser pleinement (cela aurait-il risqué de perdre le grand public ?…), oui le lecteur a incontestablement envie d’arriver au bout pour découvrir le fin mot de l’histoire, mais son « coeur temporel », autour duquel tout le roman tourne, ne surprendra jamais un lecteur de SF aguerri. À aucun moment le roman n’est mauvais, il est même sans doute toujours bon (je l’ai lu avec grand plaisir), mais une fois la dernière page tournée le constat est là : c’était sympa, une lecture agréable, mais c’est tout. C’est à la fois déjà bien et malheureusement trop peu. Mais pour une première expérience littéraire avec le voyage dans le temps, c’est incontestablement un roman à recommander (et encore une fois, lisez « Vous les zombies » de Robert Heinlein et vous aurez le (court) texte ultime, inégalable et indépassable sur la boucle temporelle… 😉 ).

 

Lire aussi les avis de Yogo, Célindanaé, Feyd-Rautha, Stéphanie Chaptal, Les blablas de Tachan, Le nocher des livres, Sometimes a book

 

  
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