La millième nuit, de Alastair Reynolds
Quatrième de couverture :
Dans plusieurs millions d’années…
Ayant essaimé à travers l’ensemble de la Galaxie, l’humanité s’est divisée en une myriade de cultures et civilisations adaptées à des contraintes environnementales et des modes de vie aux variétés pour ainsi dire sans limites. Ainsi en est-il de la Lignée Gentiane, mille clones immortels ou presque, issus d’une souche unique, qui arpentent les étoiles depuis des centaines de milliers d’années. Si, au fil du temps, chaque membre de la Lignée s’est singularisé, explorant et poursuivant ses intérêts propres, tous les deux cent mille ans, selon une antique tradition œcuménique, l’étrange fratrie se réunit pour partager ses expériences, souvenirs et projets – des célébrations grandioses qui culminent lors de la Millième Nuit. Jusqu’à ce qu’un grain de sable ternisse les dernières retrouvailles… Un détail, une anomalie insignifiante derrière laquelle pourrait bien se cacher un complot à l’échelle proprement astronomique…
L’humanité à l’échelle XXXL
La hard-SF est souvent l’occasion de jouer avec de grandes échelles, qu’elles soient temporelles, spatiales, ou physiques de manière générale. Ken Liu s’y était essayé avec succès dans « Sept anniversaires », Greg Egan également dans « À dos de crocodile » (ces deux textes déjà dans la collection UHL…), ou bien encore Peter Watts dans « Eriophora », pour prendre quelques exemples récents. Mais on peut en trouver beaucoup d’autres. Alastair Reynolds, l’un des chantres de la hard-SF contemporaine ne pouvait manquer de s’y essayer et pour le coup, avec « La millième nuit », on peut dire qu’il y est allée franchement ! Avec une humanité (dans un très lointain futur) qui a essaimé dans toute la galaxie, se divisant en de multiples sous-cultures prenant des formes physiques très diverses pour s’adapter au mieux à leur environnement, technologiquement sans guère de limites, virtuellement immortelle et à laquelle rien ne semble hors de portée, Reynolds s’est fait plaisir.
L’une de ces lignées humaines, constituée d’un millier de clones immortels issus d’un ancêtre commun (Abigail Gentiane, d’où le nom de la Lignée Gentiane), se réunit ainsi tous les 200 000 ans (oui oui, rien que ça !) lors des Retrouvailles pour que chacun de ses membres montre à la communauté, sur une planète terraformée pour l’occasion (une tradition plus qu’une obligation, pour une lignée qui peut elle aussi prendre des formes très diverses mais qui, lors de ces Retrouvailles, met un point d’honneur à apparaître sous forme humaine « primitive »), le résultat de leurs pérégrinations et découvertes galactiques effectuées à bord de gigantesques vaisseaux spatiaux de plusieurs kilomètres de long. Des Retrouvailles qui durent mille nuits pour que chacun dispose de « sa » nuit, « sa » présentation. Mais lors d’une de ces nuits, deux membres de la Lignée Gentiane, Campion et Purslane, vont s’apercevoir qu’un de leurs semble avoir modifié son récit pour cacher quelque chose qu’il ne souhaite pas voir découvert. Les deux amants vont mener leur enquête, enquête qui va les mener bien plus loin que ce qu’ils imaginaient, alors qu’en coulisses des tractations se mettent en place pour aboutir à l’édification d’un Grand Oeuvre bien mystérieux mais qui pourrait bien modifier profondément la galaxie entière…
On le voit, Reynolds ne s’autorise aucune limite : grandes échelles spatiales et temporelles, modification extrême de l’humanité, immortalité, et technologie à l’avenant. Car tout dans ce texte est mis à profit pour faire naître ce sense of wonder tant recherché, tout est poussé à l’extrême, jusque dans des retranchements ultra-technologiques pour des résultats physiques extraordinaires. La géo-ingénierie planétaire se fait comme si on allait acheter une baguette, on détruit des mondes comme on écrase un insecte, voire on déplace des étoiles avec des propulseurs Shkadov…
Tout cela pourrait faire peur, à tant aller dans les extrêmes, mais pourtant Alastair Reynolds a eu la bonne idée de s’intéresser à une Lignée qui garde forme humaine lors des Retrouvailles, on oublie donc le problème de la non-identification à des formes de vie trop étrangères. Et le récit se fait donc limpide, en se déroulant qui plus est sur un temps court alors qu’il met en jeu des échelles galactiques. Par ailleurs, il s’amuse à tourner autour d’une grandeur physique indépassable (la vitesse de la lumière) qui empêche cette humanité du futur de profiter de tout ce que la galaxie a à offrir. Traverser la galaxie ne pose pas de problèmes à un voyageur puisque qu’à des vitesses très proches de C le déplacement ne paraît pas bien long au voyageur (temps propre), mais le temps « extérieur » n’est pas le même, suivant le principe de la relativité. Comment maintenir un « empire galactique » avec de telles échelles de temps s’il est impossible de transmettre des ordres ou des nouvelles rapidement ? Comment administrer quoi que ce soit sur une si vaste étendue si dès qu’un évènement se produit ou qu’une découverte est faite il devient impossible d’y assister à cause de la durée du voyage ?
Des questions qui remettent en cause bon nombre de récits de SF (à moins qu’une solution « magique » ait été trouvée, comme la vitesse de distorsion dans Star Trek ou l’ansible de Ursula Le Guin) mais que Reynolds reprend pour mieux leur apporter une solution pour le moins radicale. Sauf que tous les moyens ne sont pas bons pour y parvenir, et c’est là qu’interviennent Campion et Purslane.
Inutile d’en dire plus, « La millième nuit » (traduit par Laurent Queyssi) ne peut que convaincre tout amateur de SF « extrême » à la recherche du vertige qu’amène la manipulation de phénomènes ou de distances prodigieux. Pourtant, il ne faudrait pas prendre le récit pour ce qu’il n’est pas : car s’il est bien hard-SF dans le fond, son déroulé ne l’est pas tant que ça puisque Reynolds a bien pris soin de se mette à hauteur d’homme et ne mettant en scène que de simples hommes et femmes capables de choses incroyables mais qui restent avant tout des hommes et des femmes à la recherche de la vérité. Temps restreint, unité de lieu (ou quasi, en dehors d’un récit dans le récit), tout est fait pour rendre le texte accessible sur la forme. Une vraie réussite vertigineuse, une de plus pour Alastair Reynolds, et on ne peut qu’attendre fébrilement la sortie, toutjours aux éditions du Bélial’, d’un autre récit (un roman cette fois) situé dans le même univers, « House of suns ». Vivement.
Lire aussi les avis de Gromovar, Yogo, Célindanaé, Le chien critique, L’épaule d’Orion, Ombrebones, et plein d’autres !
L’une de mes préférés de la collection. Cet émerveillement me rend optimiste sur les possibilités d’écrire de la bonne SF humaine et vertigineuse.
Et comme tu le dis, vivement House of Suns…
Alastair Reynolds a déjà prouvé, et le prouve encore, qu’il sait faire ce genre de SF. Au hasard, « Eversion » ou la trilogie « Les enfatns de Poséidon ». 😉
Ouaip, vivement « House of suns », vraiment.
Une réunion de familles tous les 200 000 ans, est-ce qu’on peut classer ce livre dans les utopies ?
Toute cette énormité me fait toujours un peu peur, mais en format UHL je pense que je pourrais le tenter un jour.
S’ils s’engueulent, non. 😀
C’est énorme pour ce qui est du contexte oui, mais Reynolds a vraiment restreint l’échelle de son action : ça se passe sur un temps court avec des personnages qui nous ressemblent. Ça déplait à certains qui trouvent que ça fait un peu retomber le soufflé, mais pour moi ça évite de rendre le texte trop « élitiste » en un sens. Trop Eganien peut-être… 😀
Je n’ai toujours rien acheté dans cette collection mais le vertige me donne bien envie – un côté Druilletesque dans la démesure. À une époque où on fait des économies, de la SF qui dépense sans compter, ça fait plaisir.
Si tu cherches le vertige, ça peut te plaire en effet, en ajoutant les références que je donne au début de l’article, qui sont pas mal non plus dans le genre. Certaines font même encore plus dans la démesure ! 😀
Content de te revoir par ici. 😉
Oh, je passe toujours, mais les trucs sur la Lune, c’est pas mon genre.
C’est parce que c’est la réalité, c’est trop terre à terre (haha)… 😉