L’âme des horloges, de David Mitchell
Quatrième de couverture :
1984. Holly Sykes, adolescente, s’enfuit de chez elle. Quand une vieille dame mystérieuse lui offre du thé, elle ne sait pas dans quoi elle s’engage. Malgré elle, Holly devient la gardienne du secret des Horlogers, et leur protectrice contre d’autres Immortels : les Anachorètes. Mais quarante ans plus tard, c’est pour sa propre survie que Holly doit percer le mystère de cette étrange rencontre…
Un merveilleux labyrinthe
Comment décrire ce roman ? Ceux qui connaissent le style de David Mitchell ne seront pas dépaysés avec ce roman puisqu’il reste fidèle à ce qui a fait sa réputation (notamment avec « Cartographie des nuages »/« Cloud atlas » et son adaptation cinématographique), à savoir plusieurs parties successives sur des intervalles de temps et des personnages différents. Bien évidemment, pour former un roman, ces morceaux narratifs se font écho, notamment à travers la vie de Holly Sykes, incontestablement le personnage phare du roman même si elle ne se trouve pas toujours au premier plan.
On a donc droit à l’adolescence de Holly Sykes alors qu’elle fugue du domicile familial après une dispute avec sa mère en pleine époque thatcherienne (1984), à un morceau décisif de la vie du jeune, riche, cynique et ambitieux étudiant Hugo Lamb (un joli nom à contre-emploi puisqu’il n’a rien d’un agneau innocent) autour du passage à l’année 1992, au choix cornélien qui s’impose à Ed Brubeck, reporter de guerre, entre priorité familiale et intensité professionnelle en 2004, à quelques années de la vie de Crispin Hershey (entre 2015 et 2020), écrivain en quête perpétuelle d’une reconnaissance qu’il peine à retrouver depuis son premier roman, à une guerre souterraine que se livrent deux sociétés occultes en 2025, puis à la fin de la vie d’une femme et peut-être de la civilisation entière en 2043.
David Mitchell n’hésite pas à mélanger les genres, passant du roman social au fantastique, de l’autobiographie (la partie sur Crispin Hershey ne peut que s’être inspirée du vécu de l’auteur) à la funeste anticipation. Le tout avec un soin apporté à ses personnages qui frôle la perfection. Le pari n’était pas gagné d’avance, tant l’attachement du lecteur au personnage qu’il suit aurait pu se muer en déception lorsqu’il débute une nouvelle partie sur un autre personnage… qui au final se retrouve tout aussi passionnant ! Pari réussi donc, d’autant que le contexte de chaque partie est soigné et respire l’authenticité, de la période thatcherienne à la vie mouvementée d’un écrivain de déplaçant de salons en conventions littéraires, en passant par la vie de riches étudiants anglais ou bien les dangers (et les traumatismes) qui parsèment la vie d’un reporter de guerre en Irak durant la Seconde Guerre du Golfe. Le roman se permet même de s’étendre sur une période plus vaste que les seuls marqueurs temporels de ses différentes parties. Encore une autre réussite à mettre au crédit de Mitchell.
Le récit est traversé par quelques éléments fantastiques, de simples détails (qui n’en sont pourtant pas) qui finissent tous par trouver une explication lorsque David Mitchell finit par réunir tous les fils narratifs dispersés ici ou là. Aucune faille de ce côté-là. L’élément fantastique est donc important, puisque c’est lui qui est au cœur du roman même s’il n’en constitue pas l’intérêt principal. Car la grande réussite du texte, ce sont encore une fois ses personnages, crédibles, attachants, misérables, détestables, touchants.
Certains pourraient arguer que ces différents récits plus ou moins détachés ne forment qu’une trame un peu trop lâche pour être considérée comme un véritable roman. C’est peut-être vrai formellement mais sur le fond « L’âme des horloges » est un modèle de construction narrative et forme un vrai tout, avec un début et un fin, avec cette Holly Sykes ballottée par une vie qui ne l’aura que peu épargnée et qui pourtant a toujours su trouver la force d’avancer. Jusqu’à une fin mélancolique, superbement triste mais belle malgré tout, et qui fait relativiser l’importance de la discrète mais très sérieuse guerre menée par des êtres plus ou moins occultes.
Ils sont rares les romans de presque 900 pages qui me font dire que j’aurais bien aimé prolonger de quelques centaines supplémentaires. « L’âme des horloges », d’une grande richesse, à la construction brillante et à l’écriture qui ne l’est pas moins, est de ceux-là. La marque des grands. Ne pas lire ce roman est un crime contre la littérature. Sublime de bout en bout !
Lire aussi les avis de Gromovar, Vert, Yogo, Cédric, Acr0.
Ah ben depuis que je me dis que je pourrais essayer cet auteur, je vais peut-être commencer par celui-là.
C’est ce que j’ai fait et je ne le regrette pas le moins du monde.
Un peu comme toi, du mal à sauter le pas avec cet auteur. Mais tu m’as convaincu et j’aime les pavés donc bientôt en lecture !
Si je t’ai convaincu c’est tant mieux ! Et comme les pavés ne te font pas peur, plus d’hésitations.
En tout cas, c’est une superbe découverte, je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin. 😉
C’est un écrivain exceptionnel, les histoires sont époustouflantes et quelle maîtrise. Mon seul petit regret sur ce roman est justement la partie fantastique qui ne m’a pas convaincu plus que ça. Ça se lit tout seul, ça se dévore.
C’est amusant parce que le côté fantastique infuse tout le roman et est donc important, mais il n’en constitue pourtant pas l’intérêt principal. C’est surprenant quelque part.
Pour le reste, totalement d’accord avec toi : c’est du grand art ! 😉
J’aurais préféré qu’il reste en filigrane même avec des flous, mais je chipote ! :-p
Un crime contre la littérature rien que ça ? t’as pas peur de mettre la pression, toi ^^
Je suis comme ça moi, je suis un fou ! 😀
Toutes mes félicitations pour avoir sauté le pas ! Personnellement ce n’est toujours pas fait, mais je ne désespère pas d’oser un jour me lancer dans un de ses pavés, surtout vendu comme ça. =P
Y a plus qu’à, comme on dit ! 😉
Bien, bien. Je note. Comme je disais à Vert quand elle a publié son billet l’année dernière, j’ai Écrits fantômes dans ma PAL. Il y traîne car il faudrait que je branche mes neurones pour le lire. J’achèterai celui-ci sans hésiter quand je le trouverai d’occasion. 🙂
Je pense qu’un jour ou l’autre, je lirai ses autres romans, parce que s’ils sont du même acabit que celui-ci, ça promet quelques belles claques qui font du bien.
Et comme je sens que toi aussi tu aimes les claques, vas-y fonce ! 😉
Du coup tu n’as plus qu’à t’attaquer au reste de sa bibliographie !
Le fond des forêts est super chouette, mais malheureusement il a pas été repris en poche.
Oui, j’ai du pain sur la planche !
Bizarre que « Le fonds des forêts » ne soit pas sorti en poche…
Dithyrambique !
Encore un auteur auquel il faut que je me mette ^^
Il le vaut bien. 😉
Un de plus, allez hop, au boulot !