Les ferrailleurs du cosmos, de Eric Brown
Quatrième de couverture :
À bord du Loin de chez soi, Ed et Karrie bourlinguent depuis bientôt dix ans. Et pourraient bien bourlinguer dix ans encore, en quête d’épaves aux quatre coins de l’Expansion — carcasses de croiseurs spatiaux et autres navires perdus corps et biens dans les méandres des ceintures d’astéroïdes… Ferrailleur du cosmos, c’est un boulot qui nourrit son spatial, et plutôt bien, pour peu qu’on soit doté du nécessaire : une once de roublardise, une louche de débrouillardise, et un peu plus qu’un grain de folie. Or l’harmonie qui règne sur le Loin de chez soi vole bientôt en éclats après l’arrivée d’Ella, improbable beauté au teint moka et aux jambes d’une magnitude très supérieure à celle de Sirius — en tout cas aux yeux d’Ed. D’autant que la plastique d’Ella pourrait bien cacher un secret aux implications mortelles, et qui a sans doute à voir avec le fait que la jeune femme semble la cible de drones tueurs pour le moins redoutables…
Né à l’édition dans les pages de la revue Interzone au tournant des années 90, Eric Brown, anglais de son état, figure centrale de ce qu’on appela un temps « la nouvelle fiction spéculative britannique », paye ici son dû aux grands maîtres de l’âge d’or qui bercèrent son adolescence, mais avec le recul et la profondeur d’un romancier contemporain au sommet de son art. Entre la série « Firefly » de Joss Whedon, « Titan A. E. » et « Les Gardiens de la galaxie », « Les Ferrailleurs du cosmos » remplit au mieux son contrat à grand renfort d’aventures tout en questionnant la nature de l’homme et les sentiments qui l’animent : un pur condensé de science-fiction spatiale.
Pulp, mais pas que.
L’édito des « Ferrailleurs du cosmos », signé Olivier Girard himself, directeur des éditions du Bélial’, nous l’indique clairement : Eric Brown a raté son rendez-vous avec la France. Les aléas éditoriaux étant ce qu’ils sont, l’auteur a anglais a subi un gros trou d’air entre 1998 et 2018, alors qu’il avait auparavant publié quelques nouvelles et un petit recueil très bien accueilli par la critique (« Odyssées aveugles » aux éditions DLM) et qu’il n’a cessé de publier côté anglo-saxon durant ces vingt années de diète francophone. Mais tout espoir n’est pas perdu puisque le Bélial’ semble décider à relancer cet auteur, en commençant par ce recueil/fix-up lancé au sein de la collection « Pulps ». Faut-il donc s’attendre à des courses-poursuites échevelées entrecoupées d’échanges de tirs au pisto-laser, tout en secourant les jeunes femmes en détresse aux prises avec de méchants extraterrestres tentaculeux ?
Non, pas vraiment. Enfin, soyons honnêtes, l’esprit pulp est bel et bien présent, mais pas dans la manière naïve, parfois très surannée et rétrograde, sans guère de réflexion, de la SF des années 40-50. Car rappelons-le, et c’est une première dans la collection « Pulps », Eric Brown est un auteur contemporain, vivant, et qui a écrit les récits ici présents dans les années 2000 (entre 2007 et 2013 précisément). Et ça change tout. Alors oui, il ne faut pas être allergique au pulp, avec ses aventures enlevées, proposant au lecteur des technologies dont on se fiche bien du fonctionnement (vitesse plus rapide que la lumière, rayons tracteurs, etc…), mais il y a une vraie dimension supplémentaire, cristallisée dans le personnage central du recueil : Ella, IA de son état avec une conscience de soi. Et là, forcément, les questionnements abondent. Qu’est-ce qu’être humain ? Comment définir l’humanité ? Faut-il être « organique » pour être humain ? Des questions certes pas follement originales mais plutôt bien traitées dans quelques-uns des douze chapitres du recueil (dont trois ont été publiés dans d’anciens numéros de la revue Bifrost), avec une Ella qui viendra troubler les lignes déjà floues séparant l’humanité des formes de vie « mixtes »…
Je parlais plus haut de fix-up et c’est bien de ça qu’il s’agit puisque ces récits se suivent (et se font souvent référence) et forment un tout, non pas tant sur le plan de l’intrigue (chaque chapitre est comme un épisode de série TV avec un début et une fin) que sur le plan des relations entre les personnages qui évoluent vraiment d’un chapitre à l’autre. Ella est donc au centre des préoccupations de Ed et Karrie, les deux ferrailleurs du cosmos, bourlingueurs de l’espace à la recherche d’épaves à recycler ou à revendre, le premier étant subjugué par le physique plutôt… avenant de l’IA, la deuxième énervée de voir son coéquipier transi devant ce qu’elle considère comme un vulgaire ordinateur dans une enveloppe corporelle, mais peut-être fait-elle preuve de jalousie à l’arrivée d’un « élément perturbateur » qui vient chambouler une routine bien établie entre Ed et elle depuis une dizaine d’années…. Mais tout cela va évoluer au fil du recueil, on commence donc par la rencontre entre Ed et Ella, puis on en apprend plus sur l’origine d’Ella, son apprentissage des sentiments humains, le passé de Ed, etc… le tout au fil d’aventures parfois rocambolesques, parfois plus posées mais toujours entraînantes.
Et au milieu de ces chapitres réjouissants, toujours plaisants à lire (on a droit à un prophète qui revient à la vie tous les vingt ans au sein d’une société totalitaire dans « Incident sur Oblomov », une mission sainte lancée par le Vatican et qui revient après 500 ans sans nouvelles dans « Droits de sauvetage », un criminel en trois morceaux (!!) échappé d’un vaisseau prison dans « Trois, c’est deux de trop », un peuple disparu sans laisser de traces mais dont le secret n’en est peut-être plus un dans « L’exode des Manexiens », entre autres choses…), surnage un joyau. Comment ne pas parler du superbe « Exorciser ses fantômes » qui met certes un peu de côté l’aspect pulp mais qui surtout est un superbe récit sur la mort et le souvenir ? Un texte magnifiquement mené, qui sait garder son mystère jusqu’au bon moment et offrant un final déchirant. A ranger parmi les grands textes de SF, tout simplement.
« Les ferrailleurs du cosmos » est donc un fix-up réussi, faisant parfaitement la jonction entre les space-operas de l’âge d’or et les récits et thématiques plus modernes, avec un équilibre délicat jamais mis en défaut. N’oubliant jamais qu’il écrit des aventures divertissantes, Eric Brown se permet d’aborder d’intéressantes problématiques de manière plus pertinente qu’il n’y paraît. Avec une pointe d’humour habilement dosée et cet agréable arrière-goût de « Firefly » et « Cowboy Bebop », « Les ferrailleurs du cosmos » (dans une belle traduction signée Erwann Perchoc, accompagné d’Alise Ponsero pour « Exorciser ses fantômes », et sous une belle couverture de Philippe Caza) s’impose comme le fier représentant d’un genre qui n’est pas coincé, contrairement à ce que l’on pourrait croire, dans les années 50. Et accessoirement, on a là la plus belle sortie de la collection « Pulps » qui a de beaux jours devant elle.
Lire aussi les avis de François Schnebelen, Gloubik.
Je ne crois pas avoir déjà lu de livres clairement étiquetés « pulps », mais là ça donne envie de se mettre au genre !
C’est du pulp débarrassé de l’aspect suranné qu’on peut trouver dans certains pulps de l’âge d’or de la SF. Ça se lit tout seul, et c’est plus intelligent qu’il n’y paraît. 😉
Son premier prénom c’est Fred ? (OK, je sors).
Même pas, pour ça il aurait fallu qu’il s’appelle Ric… 😉
Je me demandais ce que nous réservais ce Bélial. J’étais vaguement intéressée, curieuse essentiellement. Là, cela me tnte beaucoup plus. Merci pour ta chronique!
On ne peut pas en faire un chef d’oeuvre absolu de la SF mondiale mais c’est un très agréable moment à passer, avec aventures et réflexions. 😉
Bon, je crois que tu m’as convaincu. Mes finances ne te remercient pas ! Merci pour cet agréable retour 🙂
Mais de rien, ça me fait plaisir de donner envie. 🙂
Ca donne envie, je verrais peut-être en numérique…
Yep, sur la liseuse au thé vert, ça sera parfait. 😉
Ça pourrait bien me plaire !
Le livre a des arguments pour convaincre. Et va au-delà de la simple étiquette « pulp ». 😉
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