La servante écarlate, de Margaret Atwood
Quatrième de couverture (tirée de l’édition simple):
Devant la chute drastique de la fécondité, la république de Gilead, récemment fondée par des fanatiques religieux, a réduit au rang d’esclaves sexuelles les quelques femmes encore fertiles. Vêtue de rouge, Defred, « servante écarlate » parmi d’autres, à qui l’on a ôté jusqu’à son nom, met donc son corps au service de son Commandant et de son épouse. Le soir, en regagnant sa chambre à l’austérité monacale, elle songe au temps où les femmes avaient le droit de lire, de travailler… En rejoignant un réseau secret, elle va tout tenter pour recouvrer sa liberté.
Paru pour la première fois en 1985, La Servante écarlate s’est vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde. Devenu un classique de la littérature anglophone, ce roman, qui n’est pas sans évoquer le 1984 de George Orwell, décrit un quotidien glaçant qui n’a jamais semblé aussi proche, nous rappelant combien fragiles sont nos libertés. La série adaptée de ce chef-d’oeuvre de Margaret Atwood, diffusée sous le titre original The Handmaid’s Tale, avec Elisabeth Moss dans le rôle principal, a été unanimement saluée par la critique.
« Les meilleurs récits dystopiques sont universels et intemporels. Écrit il y a plus de trente ans, La Servante écarlate éclaire d’une lumière terrifiante l’Amérique contemporaine. » Télérama
Si loin et si proche à la fois…
Oui la série fait vendre (je me suis précipité sur la très belle édition collector reliée avec ses tranches rouges et sa couverture sobre). Et c’est bien ainsi. Car tout autant que le show de Bruce Miller, très moderne dans sa réalisation, le roman de Margaret Atwood qui en est à l’origine reste toujours aussi essentiel, peut-être même plus que jamais en ces temps d’affaire Weinstein, de hashtag #MeToo, #BalanceTonPorc, ou de contre-feu anti-féministe paru dans la presse.
Disons-le tout de suite, après avoir vu la série (en premier) puis lu le roman (en deuxième), une constatation s’impose : le récit de Margaret Atwood est excellemment adapté pour la série. Tout y est, et même un peu plus. C’est ce qui fait la force de l’adaptation mais aussi ce qui rend le roman tout aussi intéressant. Car si ce dernier est moins « complet » puisque la série s’est permis d’élargir quelque peu l’univers du récit, le roman se focalise uniquement sur la vie de Defred, exacerbant un sentiment certes présent dans la série mais de manière moins prononcée : l’enfermement, l’oppression.
Mais revenons un instant sur l’histoire. Les Etats-Unis, suite à différentes crises dont on sait peu de choses mais dont la moindre n’est pas celle de la fécondité, ont basculé dans la dictature, une théocratie baptisée « République de Gilead ». Les femmes n’ont quasiment plus aucun droit, parquées dans des castes aux devoirs bien définis. Les Épouses ne sont là qu’à but représentatif, les Marthas sont les domestiques, les Tantes sont les éducatrices tyranniques et bien sûr les Servantes, seules femmes fertiles, soumises à l’élite dirigeante et réduites à leur simple rôle d’utérus fait pour procréer. Ne portant plus de nom (on les appelle avec le nom de leur « possesseur » auquel on ajoute le suffixe « de », ainsi Defred pour l’héroïne du roman), elles subissent la « Cérémonie » une fois par mois, qui n’est rien d’autre qu’un viol institutionnalisé. Si une naissance arrive, on leur enlève l’enfant pour le donner au couple qui la possède, puis la Servante est placée au sein d’un autre foyer. Et rebelotte…
Et donc le roman retrace le quotidien de Defred. Le lecteur est placé à sa hauteur, sans connaissance de ce qui se passe à l’extérieur. Une focalisation interne poussée à l’extrême, faisant croître le sentiment d’oppression face à une situation dont les mots « injustice » ou « horreur » ne font qu’à peine effleurer la réalité. C’est là l’essentielle différence avec la série qui, même si elle s’est efforcée de garder l’effet de focalisation interne avec la voix off, ne pouvait pas se permettre de rester uniquement sur le point de vue de Defred puisque la caméra lui fait face alors que le roman se situe dans sa tête.
Deux médias, deux points de vue donc. La série étoffe le passé de quelques personnages, nous donne à voir ce qui a conduit à la fondation de la République de Gilead là où le roman ne nous montre que ce que vit Defred. Deux procédés différents, qui chacun à leur manière place le spectateur face à un malaise. Malaise extrême devant ce que vit Defred et son impuissance à s’en sortir face à un système qui ne lui laisse aucun répit pour le roman, malaise aussi face à comment quelques petits riens et l’inattention du peuple peuvent faire basculer une démocratie (d’où sa brûlante actualité devant ce qui nous arrive depuis quelques mois ou années…), jusqu’à ce le réveil finisse par être trop tardif pour la série.
Force est de constater que si les deux oeuvres se ressemblent beaucoup, elles sont aussi parfaitement complémentaires. Je n’ai pas eu l’impression d’une redite, alors même que j’ai exploré les deux oeuvres de façon rapprochée. La sidération devant la série ne m’a pas empêché de lire le roman en apnée.
Un roman sombre donc (et absolument essentiel surtout !), à la fin ouverte avant un étonnant épilogue d’historiens qui, non comptant de ne pas répondre aux nombreuses questions que l’on peut se poser, se permet de soulever d’autres questionnements en ouvrant sur un avenir plus lointain. Ce qui laisse un véritable boulevard pour la série qui a là l’opportunité de s’émanciper du récit d’Atwood (qui restera consultante). Je m’en régale par avance. Indispensable.
Lire aussi les avis de Cédric, Yogo, Vert, Val.
Oh, ta chronique me rassure. J’ai commencé moi aussi par découvrir la série avant de vouloir me pencher sur le livre éponyme. Mais je ne savais pas dans quelles proportions mon visionnage pouvait gâcher ma lecture ou comment celle-ci pourrait avoir comme conséquence sur mon visionnage de la saison 2 (hum, je t’ai perdu ?). Récit bien retranscrit et œuvres complémentaires : bien, je vais donc lire cette histoire.
Non je crois que j’ai à peu près compris. 😀
Pour moi c’est passé sans aucun problème. Ceci dit, il faut bien être conscient que tu vas lire exactement (à très peu de choses près) la même histoire. Mais j’aime bien le fait d’avoir l’unique point de vue de Defred, et c’est sur ce côté narratif que tu pourras trouver de quoi te satisfaire puisque côté intrigue tu n’auras pas de surprise.
Un très beau roman, effectivement très complémentaire de la série (comme tu as pu le voir on est bien plus enfermé dans le livre). Je suis vraiment curieuse de savoir ce que la saison 2 de la série nous réserve d’ailleurs…
Il y tant de choses qu’il est possible de faire dans cette saison 2… J’ai très hâte de voir ça.
Je vais pour ma part devoir me pencher sur la série…
Ce qui m’étonne le plus c’est que ce livre à plus de 30 ans et qu’il pourrait être écrit aujourd’hui. Et ça fait peur, le monde n’avance pas à la même vitesse pour tous (enfin pour toutes) et le chemin est encore long…
Ah oui, la série est vraiment remarquable ! Et le roman ne l’est pas moins, sans doute un peu plus « froid » mais plus oppressant.
30 ans et tellement moderne oui. Margaret Atwood a été visionnaire sur ce coup, mais on aurait aimé que cette vision soit dépassée. Ce n’est pas encore le cas malheureusement, aussi bien sur les droits des femmes, sur le patriarcat, que sur les menaces qui, l’air de rien, pèsent sur nos démocraties.
J’avais trouvé que ce confinement était extrêmement bien traité, avec beaucoup d’humanité, et une manière vraiment fine de souligner l’importance que prennent des petits riens (genre la motte de beurre, la moindre syllabe prononcée). Je l’ai trouvé vraiment aussi bon sur la forme que sur le fond.
Oui toutes les petites « libertés », les petits riens qui redonnent un peu de consistance à un personnage qui, de fait, n’existe plus et est réduite à l’utilisation qui est faite de ses attributs, sont des gestes futiles et pourtant tellement importants.
Tout est bon dans ce roman (comme dans la série d’ailleurs, c’est assez rare qu’une même oeuvre fasse référence sur plusieurs médias différents…).
J’ai pour ma part découvert uniquement le livre (sous forme audio et VO, avec Claire Dane en narratrice, elle est excellente !) et c’est intéressant de voir l’avis de quelqu’un qui compare les deux. Comme Alys je trouve que le style est extraordinaire en ce qu’il exprime si bien la détresse de la narratrice. J’ai peur d’être un peu décue par la série du coup, mais tu as l’air de penser que les deux formats se complémentent, ca me rassure.
Les deux médias sont tout à fait complémentaires, je suis sûr que tu peux prendre plaisir à regarder la série, c’est aussi un chef d’oeuvre !
Evidemment l’histoire est la même, mais la mise en image est somptueuse et les quelques petites libertés prises ici ou là servent le récit. C’est grand, tout simplement.
Merci, je note !
C’est super de faire une critique croisée de la série et du roman, en notant les points forts de chacun, les divergences de focus, et leur complémentarité.
Je ne sais pas par lequel commencer…
Dans tous les cas, merci! 🙂
D’habitude je lis toujours l’écrit avec de passer à l’image. Ici, avec tout ce qui a été dit sur la série, j’ai commencé par celle-ci, et je ne l’ai pas regretté.
Ceci dit, l’ordre inverse doit aussi très bien fonctionner, les deux formats sont tout aussi réussis l’un que l’autre.
Tout ça me donne envie de relire le livre, ma lecture est un peu trop ancienne pour une comparaison avec la série.
Et tu pourrais peut-être le lire avec un autre oeil, plus marqué par l’actualité récente, etc… 😉
Je n’ai toujours pas vu la série. Mais je compte bien y jeter un œil un jour, vus les éloges sur la qualité d’adaptation qu’on peut lire ici ou là, comme le tien. J’ai cru comprendre néanmoins que dans la série Defred s’épilait (comme quoi, la série a beau être féministe, il y avait des limites à l’adaptation ^^). Je plaisante évidemment, ne m’offusquant pas du tout de ce petit écart.
Oui c’est un détail, mais pas anodin. Parce qu’elle ne s’épile pas elle-même. Et ça change tout. Mais je te laisse découvrir ça. 😉
Oula… Je crains le pire ^^
Eh bien ça me donne envie, a minima, de découvrir le roman. La série on a du abandonné, Madame est trop sensible sur ce sujet.
Ha c’est sûr que si on est un peu sensible sur le sujet, ça rend le visionnage de la série forcément un peu délicat…
Le roman est à la fois identique et différent. Tu peux tester. 😉
[…] Autres avis : Boudicca, Aelinel, Lorhkan […]