Le fleuve céleste, de Guy Gavriel Kay
Quatrième de couverture :
Reprenons nos fleuves et nos montagnes
Et offrons-les en tribut loyal à notre auguste empereur.
Voici l’histoire de Ren Daiyan, le fils d’un obscur archiviste d’une lointaine province de la Kitai. Il rêve de victoires et d’exploits ; il rêve de restituer à l’empire les Quatorze Préfectures tombées aux mains des barbares. Un long cheminement l’attend, mais vers quel destin ?
Car la glorieuse Kitai d’antan n’est plus et les cavaliers des steppes du Nord menacent son intégrité, sous le gouvernement de l’empereur Wenzong, mélancolique esthète, et d’une cour déchirée par des factions en conflit permanent que seule unit la crainte d’un coup d’État militaire.
C’est aussi l’histoire de Lin Shan, l’enfant unique d’un gentilhomme de la cour, cultivée plus qu’il n’est convenable à une femme. Si elle scandalise les bien-pensants, elle charme l’empereur par ses talents de poétesse. Farouchement indépendante mais bridée par sa condition, elle est l’image même d’une civilisation suprêmement raffinée mais en crise.
Car c’est enfin l’histoire d’un monde qui s’apprête à basculer sous les étoiles du Fleuve céleste.
Après la Chine des Tang dans Les Chevaux célestes, c’est de la fin des Song du Nord, trois siècles et demi plus tard, que s’inspire Guy Gavriel Kay dans Le Fleuve céleste.
Un crépuscule chinois
Je ne peux pas maintenir le suspense plus longtemps : oui ce roman est au moins aussi réussi que le précédent. Et donc vraiment somptueux. Guy Gavriel Kay fait du Guy Gavriel Kay et donc tout ce qui a pu être dit sur « Les chevaux célestes » reste valable ici : l’auteur prend son temps, le roman n’est pas un roman d’action, la première moitié (environ 350 pages tout de même) est l’occasion de construire le contexte, les personnages, etc… avant de tout détruire dans la seconde moitié. Et plus que tout, cette Chine imaginaire est fascinante et fournit à Kay un background enchanteur duquel il se sert à merveille pour nous servir un roman absolument remarquable.
Mais détaillons un peu tout cela. « Les chevaux célestes » reprenait donc l’histoire de la dynastie des Tang de la Chine que nous connaissons pour l’adapter à la sauce imaginaire dans cette empire de la Kitai. « Le fleuve céleste » se déroule trois siècles et demi plus tard, et s’inspire cette fois de la dynastie des Song. La Kitai a beaucoup changé entre ces deux époques, pas forcément en bien : la capitale a été transférée de Xinan (ses 2 millions d’habitants ne sont plus qu’un lointain souvenir et le quartier impérial est en ruines) à Hanjin, les Kanlin (inspirés des Shaolin) ont disparu, l’armée est totalement inefficace et l’empire en est réduit à verser un tribut aux peuplades du nord-est, les Xiaolu (inspirés des Liao), pour garantir une paix malgré tout précaire (alors qu’ils se sont déjà emparés de quatorze préfectures (seize dans notre vraie Histoire)) tandis qu’au nord-ouest ce sont les Kislik (inspirés des Xia) qui posent problème. Sur un plan plus « social », la place des femmes en a prit un coup et une femme éduquée est désormais vue d’un mauvais oeil. Une constante tout de même entre ces deux époques : les intrigues de cour sont toujours là et les condamnations à mort et autres exils n’ont pas cessé. Mais un exil n’est parfois que provisoire, et partir pour mieux revenir au gré des courants d’influence peut être une solution, la patience reste donc parfois de mise.
C’est dans ce contexte déjà relativement déliquescent que Kay place ses personnages : Ren Daiyan, un jeune idéaliste qui rêve de redonner à la Kitai sa gloire d’antan et ses quatorze préfectures perdues, et Lin Shan, une jeune femme cultivée (ce qui ne manque pas de choquer) que son père a tenu à éduquer « comme un garçon », c’est à dire en lui apprenant le plus de choses possibles, et qui s’avère être une poétesse de génie. Ces deux personnages, les plus importants du roman, partis de rien, auront bien sûr un destin hors du commun. Là encore, ces deux protagonistes ne sortent pas nulle part, l’Histoire étant une source inépuisable de personnes extraordinaires. Ainsi Ren Daiyan est une inspiration du personnage extrêmement célèbre en Chine de Yue Fei, et Lin Shan est inspirée (assez librement sur ce coup-là) de Li Qingzhao, la plus illustre poétesse de Chine. Je vous mets les liens vers les articles Wikipedia mais bien entendu si vous voulez garder le suspense, n’allez les voir qu’après avoir lu le roman.
Autour de ces deux héros, comme d’habitude avec l’auteur canadien plus vrais que natures et profondément attachants, gravitent tout un tas d’autres rôles secondaires, parfois créés par l’auteur pour les besoins de son intrigue, parfois eux aussi inspirés de personnages historiques (notamment les Empereurs et leurs Premiers Ministres). Le plus étonnant reste, comme dans « Les chevaux célestes », de voir certains personnages n’apparaître que pour quelques pages et malgré tout Kay s’est donné le mal de leur donner une histoire. Ainsi tout sonne juste, vrai. Cela implique des longueurs bien sûr, mais jamais ennuyeuses.
Car cette longue première moitié est en fait une gigantesque scène d’exposition dans laquelle le romancier détaille le contexte historique, avec l’Empereur, ses lubies, ses différents Premiers Ministres, les personnes exilées par ces derniers qui auront plus ou moins d’importance dans ce qui va se jouer par la suite, les conflits frontaliers, les échecs de l’inefficace armée (conséquence des événements des « Chevaux célestes », le roman ici présent faisant d’ailleurs quelques références à son prédécesseur), etc… Les personnages sont aussi très détaillés, on connaît tout de leur histoire, leur trajectoire et leurs motivations et tout ce que met en place l’auteur dans cette première partie est une longue introduction à une destruction lente, un crépuscule inexorable. J’avoue avoir rarement lu quelque chose d’à la fois aussi beau et aussi terrible. Terrible sans pour autant faire dans la démonstration : la narration, une autre merveille du roman (faite de flashbacks, d’ellipses mais aussi de petites phrases peignant à grand trait le devenir futur de certains personnages), se déroule sur de nombreuses années et cette « apocalypse lente » n’offre pas de batailles rangées, de déroutes sanglantes ou de sacrifices grandiloquents. Toutes ces choses, si elle existent, se font le plus souvent hors-champ, et ce sont les conséquences qui nous sont montrées, sans jamais forcer le trait, mais la décrépitude de ce monde jadis si beau n’en est que plus frappante.
Il se dégage ainsi de ce « Fleuve céleste » une certaine majesté, de laquelle peu (les protagonistes comme le lecteur) sortiront indemnes. Une nouvelle fois très documenté (la société est à nouveau richement décrite, les faits historiques sont nombreux, même parmi les plus anodins, les comportements sont réalistes, on sent bien par exemple qu’une audience avec l’Empereur est certes quelque chose d’exceptionnel mais ce n’est pas forcément un cadeau tant la moindre parole de travers peut avoir de fâcheuses conséquences), très référencé également (je pense notamment à l’épisode des brigands et du cadeau impérial, tout droit issu de l’immense roman chinois « Au bord de l’eau ») (les remerciements en fin de volume donnent un bel aperçu des différentes sources de l’auteur), le roman impose une nouvelle fois le respect.
Je ne m’aventurerai pas ici à dire lequel des « Chevaux célestes » ou du « Fleuve céleste » est le meilleur (bon allez ok je me lance quand même : peut-être que cette terrible ambiance du fin d’un monde du « Fleuve céleste » l’emporte d’une courte tête… 😉 ) mais une chose est sûre : lisez « Les chevaux Célestes », lisez « Le fleuve céleste », lisez Guy Gavriel Kay. On est là dans le domaine des merveilles de la littérature fantasy, rien de moins.
Lire aussi les avis de Apophis, Cédric, Boudicca.
Faudra que je découvre cet auteur, un jour…
Oh que oui, tu dois !
Bel article, cela donne très envie !
Merci, il ne faut pas hésiter, ce bouquin (et l’auteur de manière générale semble-t-il) est excellent !
Totalement d’accord avec ta critique et ton conseil de lire Kay à tout prix (et merci pour le lien). Je ne sais pas si tu as déjà lu Les lions d’Al-Rassan, mais si ce n’est pas le cas, rue toi sur la réédition qui sort en Août : c’est exactement la même ambiance de fin d’un monde, mais avec des personnages encore plus surpuissants que dans le Kay moyen.
Je débute dans ma lecture des oeuvres de Kay, hormis « La tapisserie de Fionavar » que j’ai lu (et apprécié) étant ado, mais je ne suis pas sûr que remettre le nez dans cette trilogie soit une bonne idée.
Par contre, hormis les deux dernières parutions en France, tout le reste de son côté fantasy historique m’est encore inconnu. Y compris donc « Les lions d’Al-Rassan », « Tigane », etc… De belles heures de lecture !
Je savais que L’Atalante avait l’intention de mettre les petits plats dans les grands pour la venue de Kay aux Utopiales cette année, mais je n’avais pas vu passer l’info de la réédition des « Lions d’Al-Rassan ». D’autres suivront j’imagine ? J’aurais préféré en poche mais je ne vais pas faire mon difficile… 😉
Je plussoie, il faut lire Guy Gavriel Kay ! ;-D Bel article en tout cas !
Oui, il faut, ce roman est une démonstration plus que convaincante !
Merci. J’avais oublié de te linker, c’est désormais réparé. 😉
Mon Dieu! Ta critique me donne envie de me précipité sur ce tome qui embelli ma bibliothèque!!! Je suis très heuresue de l’avoir et j’espère le lire prochainement. Alllez, dès que j’ai terminé mes lecture!
Il faut se précipiter sur ce roman, il le mérite, c’est du grand art !
Faut que je me remette à cet auteur un jour, faut juste que je sois dans une période à gros pavés…
Ah c’est sur que l’auteur s’est fait une spécialité des trucs un peu volumineux. Faut un peu de temps devant soi…
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