Wild Cards, anthologie dirigée par George R.R. Martin
Quatrième de couverture :
1946. Un virus extraterrestre frappe le monde, tuant quatre-vingt-dix pour cent de ceux qu’il touche. L’immense majorité des survivants subit des mutations délétères, mais quelques élus y gagnent des pouvoirs surnaturels. Parmi ces surhommes, certains ont choisi de défendre ce qu’il reste de la race humaine, tandis que d’autres ont opté pour des voies plus tortueuses…
George R.R. Martin, l’auteur du « Trône de fer », a convoqué certaines des plus fines plumes de la science-fiction américaine (Roger Zelazny, Walter Jon Williams, Lewis Shiner…) pour bâtir un univers post-apocalyptique jouissif dans lequel il revisite l’histoire de la fin du XXe siècle.
Du comics sombre et « réaliste » en roman
Un virus extraterrestre se déverse sur Manhattan. Bilan des courses : 90% des victimes décèdent, souvent dans d’atroces souffrance. Parmi les 10% restants, 90% deviennent des « jokers », des être victimes de toutes sortes de malformations. Difformes mais vivants. et les derniers 10% (soit 1% des personnes touchées par le virus) deviennent des « as », des personnes dotés de ce qu’il faut bien appeler des « pouvoirs », là aussi de différentes sortes : physiques, psychiques, etc…
Ça c’est pour le contexte général (décrit dans le premier récit). Pour ce qui est de la réalisation, on a affaire ici à un genre qui se perd : une anthologie, une collection de textes de plusieurs auteurs partageant un même univers. Ainsi, chaque nouvelle qui constitue le recueil s’intéresse de près à un personnage, invention de son auteur (ou bien issu des nombreuses séances du jeu de rôles « SuperWorld » auxquelles participaient George R.R. Martin et un certain nombre des auteurs ici présents, comme l’indique la postface de Martin lui-même), puis refait régulièrement surface dans d’autres récits d’autres auteurs. Ainsi, c’est un véritable panorama qui s’offre au lecteur : panorama de nombreux personnages à travers les treize nouvelles (auxquelles s’ajoutent un prologue, un épilogue, des interludes, et des appendices, en plus de la très intéressante postface qui revient sur la genèse de cet univers), panorama historique puisque ces récits s’étalent sur une quarantaine d’années, l’occasion d’en faire un univers uchronique reprenant de nombreux faits historiques détournés (guerre froide, chasse aux sorcières et McCarthysme, mouvements citoyens des années 60-70, guerre du Vietnam, etc…). Tout cela insuffle une réelle consistance au tout.
Avant de s’intéresser aux récits, signalons que l’édition française est la plus complète qui soit puisque le volume original ne comportait au départ que dix nouvelles. Il fut réédité et complété en 2010 avec trois nouveaux récits, mais amputé de la postface. Bref, on peut dire qu’on a en France l’édition ultime, qui plus est dans un très bel écrin, la couverture de Michael Komarck étant particulièrement réussie (reprise du volume VO de 2010).
Du côté des nouvelles présentes, il y aurait beaucoup à dire, et une partie du plaisir vient de leur découverte, notamment des personnages auxquelles elles s’intéressent, et de la découverte de leurs pouvoirs. Donc je n’en dévoilerai pas trop ici. Il faut tout de même noter que si on parle de super-héros (bien que le terme ne soit jamais utilisé), pas de super-rayon laser, ni de surhomme surpuissant ici. Les pouvoirs, aussi puissants soient-ils (et ils le sont parfois) ne font pas de leurs détenteurs des héros blancs comme neige, les récits s’inscrivant plutôt dans un style « réaliste » (avec les guillemets qui s’imposent bien sûr) et un peu « gritty » digne des années 80 (du côté des comics, on peut sans doute faire le parallèle avec « Watchmen » ou bien « The dark knight returns »). Oubliez également les costumes flashy, les « as » sont des hommes comme les autres (ou tentent de l’être), avec leurs doutes et leurs difficultés. Ils sont une des grandes réussites du recueil, évitant l’écueil des personnages monolithiques et sans relief. D’ailleurs, certains récits s’intéressent aussi aux bad guys, une diversité bienvenue. De même, les jokers sont aussi un élément très important de l’univers, et ils ont toute leur place dans les nouvelles.
Bien sûr, comme dans tout recueil de nouvelles, il y a des hauts (beaucoup), et des bas. Parmi les grandes réussites, citons « Le dormeur » de Roger Zelazny qui introduit Croyd Crenson, un homme aux pouvoirs très singuliers (l’idée la plus originale de toutes d’après Martin dans la postface) et important pour la suite de la saga, ou bien « Le témoin » de Walter Jon Williams qui se situe en pleine chasse aux sorcières communistes et anti-as, et qui montre de la plus éclatante des manières que les héros peuvent faillir (sans doute le meilleur récit du recueil). De même, la dramatique histoire d’amour de « Rites de dégradations » de Melinda M. Snodgrass est une superbe réussite. Et je pourrais aussi citer « Powers » de David D. Levine en pleine guerre froide, « Ficelles » de Stephen Leigh qui introduit là aussi un personnage important pour les volumes suivants, ou bien « La fille fantôme à Manhattan » de Carrie Vaughn qui apporte une touche de féminité à l’ensemble (les héroïnes féminines ne sont malheureusement pas très nombreuses ici…). En revanche, « Capitaine Cathode et l’As clandestin » de Michael Cassutt ne m’a pas vraiment convaincu, alors que j’ai trouvé « Aux tréfonds » de Edward Bryant et Leanne C. Harper carrément mauvais.
Le seul reproche que je pourrais faire à ce volume dans son ensemble est relatif au manque d’intrigue générale. « Wild Cards » est en effet un grande introduction à cet univers uchronique, présentant nombre de personnages importants revenant parfois d’un récit à l’autre. Quarante ans d’histoire pour en arriver à l’époque de l’action des volumes suivants, les années 80, volumes qui eux, toujours sur le mode de l’anthologie, offrent un fil rouge reliant les différents récits. Un point négatif qui trouve son explication dans la raison d’être de ce volume, finalement.
Du comics en roman, on se demande pourquoi personne d’autre n’en a eu l’idée (et là, je vais me faire basher avec tout un tas d’exemples que je ne connais pas !^^). En tout cas, l’univers imaginé par Martin et ses comparses offre d’immenses possibilités (il a d’ailleurs été décliné en comics, tiens tiens, et une option a été posée pour un futur film), et ce volume n’est donc en fait qu’une vaste introduction. Mais une très bonne introduction ! Et du coup, je parviens bien mieux à cerner l’une des influences de Larry Correia pour sa série des « Chroniques du Grimnoir »… J’ai d’ores et déjà hâte de lire la suite, pour vraiment plonger dans les choses sérieuses. N’oublions pas que la série VO s’étale sur plus de 20 volumes, on a de quoi faire !
Lire aussi l’avis de BiblioMan(u).
Oh oh oh oh…. Le fait que Zelazny avait écrit dans l’univers de Wild Cards m’avait échappé. Il me le faudra.
Il a écrit une nouvelle dans les volumes 1,2, 5 et 13. 😉
Cela donne vraiment envie, que ce soit pour le principe ou le thème.
Je ne peux imaginer qu’un seul problème : est-ce vraiment raisonnable de se lancer dans une série de plus de 20 livres avec tout ce qu’il y a déjà à lire ? =O
Les 20 volumes développent le même univers, mais ils forment plusieurs histoires différentes avec un début et une fin, le plus souvent regroupées en trilogie.
Tu ne t’engages donc pas forcément sur 20 tomes. 😉
Je crois très fortement que je vais me laisser tenter…
Ça devrait te plaire… 😉
J’avais déjà bien aimé le concept d’univers collectif avec Liavek (même si pour le coup en français on n’a qu’un aperçu très « Hobb-ien ». Faudra que je jette un oeil à ce recueil-ci du coup.
J’aime beaucoup le concept aussi (à condition que l’univers me plaise évidemment). Ça permet plusieurs points de vue, plusieurs sensibilités d’écriture, etc…
Pourvu que la série continue !
Je trouve l’idée de cette série vraiment chouette. Je ne sais pas quand mais ce bouquin finira dans ma PàL !
L’idée est excellente, la réalisation (en tout cas pour ce premier tome) ne l’est pas moins. 😉
Je viens de mettre le lien vers ton blog.
Zelazny et Williams m’ont bel et bien ravi aussi 😉
Link back ! 😉
Zelazny et Williams sont sans doute les meilleurs récits, auxquels j’ajoute bien volontiers ceux de Melinda Snodgrass et David Levine.